En 2005, Benoît Jacquot a lu dans Libération une chronique de l'historienne du droit Marcela Iacub qui racontait le procès à la fin de second empire de Thimothée Castellan, accusé d'avoir enlevé Joséphine Hughes "à la moralité parfaite" et de l'avoir forcée à le suivre avec l'aide de l'hypnose. L'enjeu du procès était simple : vu que les témoignages montraient que Joséphine ne s'était pas enfuie alors qu'elle le pouvait, pour prouver le viol, il fallait que le jury reconnaisse le pouvoir du magnétiseur. Ce qu'il fit, condamnant Castellan à 12 ans de prison. L'honneur de Joséphine était sauf, et les partisans de l'hypnose triomphèrent.
On comprend ce qui a pu fasciner Benoît Jacquot, qui avait déjà traité de l'hypnose en 1997 avec "Le Septième Ciel". Un quatrième fois consécutive, après "A tout de suite", "L'Intouchable" et "Villa Amalia", il raconte l'histoire d'une femme qui part et rompt brusquement avec toutes ses attaches. De ses trois films, c'est du premier que "Au fond de Bois" est le plus proche, en ce qu'il met aux prises une jeune fille de bonne famille et un voyou. Mais dans "A tout de suite", Lili accompagnait Badda par amour, alors qu'ici, le mystère qui entoure la raison ayant poussé Joséphine à suivre Castellan est le sujet même du film.
Benoit Jacquot explique ainsi son intention de traiter la question de savoir si Joséphine a agi de gré ou de force : "Dans le film, le gré et la force sont intimement mêlés, tressés, enchevêtrés ; ils sont rendus aussi ambivalents que possible, d'une manière qui, pour moi, devait être presque vertigineuse". Ce vertige est parfaitement rendue par la mise en scène : une photographie très soignée dans des dominantes bleutées, le jeu si particulier d'Isild Le Besco qui collabore avec Jacquot pour la cinquième fois, et la place de la musique. Benoît Jacquot a demandé à Bruno Coulais de composer un concerto pour violon qui s'inspire de Berg, et contrairement à la tendance actuelle qui exige qu'une B.O.F. souligne avec redondance l'action du film, ici la musique semble guider le récit.
La maîtrise formelle de la mise en scène peut se résumer au choix des costumes. Quand elle apparaît la première fois à Thimothée lorsqu'elle se rend à la messe au milieu des femmes en noir, Joséphine porte une robe d'une blancheur virginale. Grimpé dans un arbre, il l'épie dans son salon avec son père, vêtue d'une robe rouge. C'est vêtue de cette même robe blanche qui se souille au fur et à mesure qu'elle part sur les routes avec son ravisseur. De retour à son domicile, elle porte une robe bleue, de la même couleur que l'uniforme de prisonnier de Castellan.
Comme de nombreux réalisateurs, Benoît Jacquot parle aussi du cinéma, une autre forme d'hypnose : "Le tournage doit être le moment pour le cinéaste où il doit y croire, l'instant où les acteurs doivent eux-mêmes y croire et faire croire dans un état qui est plus ou moins hypnotique et somnabulique." Malgré un scénario improbable entre la fascination de Lucy pour Dracula et "Le Juge et l'Assassin", cette croyance se sent à l'écran et parvient à exercer l'envoûtement espéré.
Critiques Clunysiennes
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