Si « Pépé Le Moko » offre une comparaison immédiate avec « La Bandera » à cause de la géographie « coloniale », celle ci tourne court, car à part Gabin dans le rôle principal du mauvais garçon, et une tragédie amoureuse, mais très différentes, les autres points communs sont inexistants. Banale histoire d’amour dont la fin est d’une logique implacable. L’audace de la relation de la « La bandera » semble oubliée, la magnifique berbère (Annabella) étant remplacée par une gitane (Line Noro), au physique plus quelconque. Quant au rusé inspecteur maghrébin, Slimane, il est interprété par un français, Lucas Gridoux (parfait au demeurant). Loin des grandes envolées lyriques, ce film assez concentrationnaire (les séquences se passent très majoritairement dans la casbah et surtout dans des pièces), enchâsse (au vu des bijoux je me laisse aller) une relation amoureuse à trois dont au moins une des protagonistes restera dans l’ambigüité de l’appât de ses atours. Mais lesquels ? Julien Duvivier et Henri La Barthe, l’auteur du roman, développe un scénario qui fait la part belle à la ville, à commencer par une remarquable mise en place, presque documentaire. Par la suite, le film est truffé de scènes de qualité, parfois drôles, parfois désespérées, avec les dialogues de Jeanson qui font mouche. C’est le premier véritable film noir du cinéma français, avec sa galerie de personnages, à commencer par le grand père, mais aussi la brute au grand cœur, le joueur de bilboquet, le môme, les compagnes et les indics. Il renferme plusieurs séquences remarquables, en particulier, pour les plus marquantes, l’assassinat au son d’un piano mécanique et, vers la fin, Mireille Balin et la sirène du bateau qui offrent un plan d’une beauté désespérante. En regardant par moments du côté du « Scarface » d’Howard Hawks, le film évite la violence de « Public Enemy » de William A. Wellman. Le réalisateur, comme dans « La belle équipe » réalisé un an plus tôt, fait preuve de maîtrise dans sa direction d’acteur, même si la toute dernière scène ne fonctionne pas (Jean Gabin comme Line Noro). Un grand film, mais son manque d’audace dans le triangle amoureux et quelques (rares) ratés, empêchent « Pépé le Moko » de se hisser au rang de chef d’œuvre.