"Les temps modernes" est, sans doute, l’un des films les plus connus de Charlie Chaplin (avec "Le Kid" et "Le Dictateur"). Les cinéphiles, et même les profanes, ont en tête les scènes où Charlot est pris dans les mécanismes des machines de l’usine où il travaille ainsi que la fameuse "non-sense song" (adaptée de la chanson française "Je cherche après Titine") qui permet, pour la première fois, de voir le personnage parler et qui est devenue un classique. J’attendais, forcément beaucoup du film, surtout après la petite déception des "Lumières de la ville". Malheureusement, si "Les temps modernes" est meilleur que son prédécesseur, il n’en porte pas moins les mêmes stigmates qui l’empêchent d’être au niveau des trois premiers films mettant en scène le vagabond. Tout d’abord, on retrouve ce manque de structure de l’intrigue, ce qui est d’autant plus criant quand on pense (naïvement) que le film va se dérouler exclusivement dans l’usine et, ainsi, se prévaloir de la cohérence formelle qui manquait aux "Lumières de la ville". C’est, donc, avec une certaine surprise qu’on découvre que Charlot quitte rapidement son emploi pour se frotter à la dure réalité de la société américaine industrialisée. Il est, d’ailleurs, un peu injuste de reprocher aujourd’hui au film de ne pas se dérouler exclusivement dans l’usine dans la mesure où cette déception est imputable à l’image restée dans l’inconscient collectif. On est même presque content que Charlot sorte de cette usine tant les gags proposés jusque-là souffrent d’une mécanique, certes justifiées par le propos (Chaplin entendant dénoncer les conditions de travail déshumanisantes engendrées par l’industrialisation) mais un peu trop rigide et répétitives (les interventions sur la chaîne de production, l’invention pour nourrir les ouvriers…). On espère que ce défaut cessera avec un Charlot libéré du joug du travail… mais on constate rapidement que, à trop vouloir dénoncer, l’intrigue s’éparpille dans de multiples sous-intrigues et autres amorces scénaristiques
(Charlot qui fait un burn-out, Charlot pris pour un meneur de manifestation communistes, Charlot en prison, Charlot qui empêche une évasion…)
. A croire que le personnage n’a plus grand-chose de nouveau à dire et qu’il n’entend plus faire l’effort des gags visuels millimétrés qui ont fait son succès… On retrouve même cette expérimentation formelle (plus aboutie ici) avec des dialogues parlés en début de film (attribuées au directeur de l’usine) qui apparaissent inutiles dès lors que le film reste dans une logique de pantomime. Ce sera, d’ailleurs, le dernier acte de résistance de Chaplin au cinéma parlant… qu’il adoptera enfin, 4 ans après, avec "Le Dictateur". Je m’attendais, donc, à ressentir une déception similaire à celle des "Lumières de la ville"… quand un miracle s’est produit avec l’arrivée de l’étincelante Paulette Goddard ! L’actrice irradie le film de sa présence et donne un sérieux coup de fouet à l’intrigue qui ronronnait jusque-là. Ce n’est pas que le film soit, alors plus structuré mais son énergie fait oublier ce défaut et transcende le personnage de Charlot qui semble s’être trouvé, enfin, une partenaire féminine à sa hauteur ! Il est, d’ailleurs, intéressant de constater à quel point il reprend la vigueur qui semblait l’avoir quitté, avec des gags visuels bien plus travaillés (le ballet en patins à roulettes dans le grand magasin, le service au restaurant…) et un baroud d’honneur resté dans les annales avec la fameuse chanson finale. A ce titre, même s’il est forcément émouvant de voir Charlot chanter pour la première fois, il me semble difficile, pour un public contemporain, d’être totalement subjugué par cette séquence, qui devait être très drôle à l’époque (le charabia de Chaplin, jusque-là muet, sur un air connu a forcément fait son effet) mais qui fait plus morceau d’Histoire aujourd’hui que grosse poilade. Cette séquence s’inscrit, cependant, parfaitement dans la logique du film, qui est une sorte d’adieu de Chaplin à son personnage tel qu’il l’a conçu
(la dernière image du film est, à ce titre magnifique)
. Il le retrouvera, certes, une dernière fois, dans son chef d’œuvre, "Le Dictateur", mais en version parlé et avec, en face de lui, l’extraordinaire personnage d’Hynkel qui lui pique un peu la vedette… ce qui explique, d’ailleurs que ce film ne soit pas forcément considéré comme un "film de Charlot".