Revenant de l'écriture linéaire de Les Lumières de la ville, Chaplin opte de nouveau pour des semblants de sketches alignés les uns contre les autres, avec une cohérence autour du titre (que ne laissait pourtant pas supposer le titre de travail, The Masses). Encore un bon choix pour la continuité de sa carrière, qu'il pousse dans la sonophobie jusqu'à faire de ce film le dernier muet d'Hollywood (hors parodie et expérimental).
Difficile de croire, de nouveau, que c'est le même homme qui joue, tourne, compose la musique, chante même en charabia, et imagine les métaphores du genre de la foule comparée à un troupeau de moutons. Ces choses, qui ne nous choquent pas aujourd'hui parce qu'elles sont des préoccupations aussi importantes pour le commun qu'elles l'étaient dans l'esprit précurseur de Chaplin à l'époque, nous font oublier qu'il soumettait aux grands studios de L.A. des trombes de politiquement incorrect dont les formes n'étaient pas discriminées ; de nos jours, on y voit une série d'inventions allant du scatologique au scandaleux, en passant par la satire et le burlesque. À l'époque, c'était plus binaire : l'on riait, ou l'on censurait.
Difficile, encore, de ne pas voir des esprits faibles dans les audiences de Chaplin jadis ; l'on imagine aisément qu'il pouvait avoir du mal à tolérer les acteurs. Pourtant, ce n'est pas l'amertume qui l'étouffe, au vu de l'humour qu'il invente pour les légendaires scènes en usine, encore à même de provoquer des fous rires ; si l'humour se mesurait, on aurait peut-être là un record du monde.
Il arrive à transformer l'industrie, sa grisaille, son bruit et sa pagaille, en une sorte de Metropolis optimiste, où l'on rit du mal qu'elle nous fait sans avoir à s'en morfondre par ailleurs. Avec en plus le choix d'écriture, il était inévitable que l'on sente une rupture entre les séquences de l'usine et le reste de l'histoire, qui est hélas une redite, en matière d'ambiance, de Les Lumières de la ville (presque dix ans après avoir vu ces films pour la première fois, je m'explique pourquoi j'en étais venu à les confondre). Permettons à cet impair d'être juste la justification suffisante à ne pas hisser l'œuvre au rang de Le Kid.
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