Premier long-métrage du cinéaste Palestinien Raed ANDONI, Fix Me est un documentaire introspectif oscillant brillamment entre gravité et dérision.
Son sujet ? la migraine incessante du réalisateur, sorte de métaphore de l’occupation Israélienne et de l’impact d’une situation de tension sur l’individu. Ce mal de tête empêche Raed d’exprimer sa créativité et (donc) de travailler. Il décide alors d’entamer une psychothérapie et de la filmer de la manière la plus juste possible, au travers d’une vitre sans tain. Les séances alternent avec les déplacements de Raed qui rend visite à ses proches et déambule sur les routes au rythme des check point et des feux rouges de Ramallah. Fix Me nous montre le conflit Israélo-Palestinien du côté des individus, la façon dont ils vivent cette occupation qui menace d’envahir également les esprits et les corps. Raed ANDONI a grandi avec le conflit politique, il s’est engagé pour la cause palestinienne ce qui lui a valu un séjour en prison à l’âge de dix-huit ans. La Palestine fait partie de son identité mais Raed refuse d’être réduit à cela, il revendique le droit de faire autre chose qu’un film qui se voudrait être un «pont entre deux culture », il refuse d’être vu comme le porte-parole de la Palestine et veut s’affranchir des étiquettes, ne pas être mis dans une case. C’est d’ailleurs réussi, le film est inclassable, ni totalement documentaire ni vraiment fictionnel. Les séquences de thérapie nous font découvrir l’intériorité du personnage/réalisateur : ses doutes, ses quêtes, ses questions existentielles. Fix Me questionne la notion de liberté en temps de guerre : la liberté individuelle a-t-elle une place lorsque l’on lutte pour la liberté / celle d’un peuple ? Plus universellement, il s’interroge sur la place de l’homme dans la société. Raed ANDONI revendique la liberté d’être en tant qu’individu, il se sent d’ailleurs « différent », comme s’il avait adopté le « point de vue du chameau » qui a pris de la hauteur sur son environnement. Ses idées se heurtent parfois de façon assez dure à la réalité comme lorsque, face à l’électricien atteint du cancer qui travaille pour lui, il prône le droit à la faiblesse et met en doute l’efficacité de sa façon de lutter contre la maladie. Les personnes avec qui il dialogue apportent leur vécu, leurs idées et permettent de créer le débat, de ne pas s’enfermer dans la seule vision du cinéaste. Ils sont source d’autodérision (dans le cercle familial surtout) mais aussi matière à réflexion. En effet, le jeune neveu, Ramez, très militant, représente en quelque sorte ce que Raed a pu être à son âge, imprégné d’idéaux, d’utopies et d’une envie de changer le monde. Mais le cinéaste tempère cela en lui demandant de ne pas laisser la politique prendre le pas sur sa vie, de ne pas laisser l’occupation envahir totalement son esprit. Par le biais d’autres personnages comme l’électricien ou l’ancien compagnon de cellule de Raed, nous découvrons ce qu’a vécu la génération du cinéaste : arrestations, prison, torture, négation de la liberté de circuler… Ces expériences douloureuses ont indéniablement marqué l’esprit et le corps de ces hommes et de ces femmes.
Fix Me est un film porteur d’une grande sensibilité où la beauté des cadres et la musique font oublier les quelques longueurs. L’humour se fait subtil, ironique et même burlesque comme lorsque l’on voit tomber un pan du mur de séparation après le passage de la voiture. Raed ANDONI, sur la base d’une simple migraine, réussit à faire transparaitre de nombreux thèmes allant de l’identité à la création et à les traiter avec une liberté de ton remarquable.