Le cinéma philippin étant ce qu'il est, les films de Mendoza s'adressent majoritairement à un certain public occidental, européen de surcroît, qui a la particularité de s'enflammer fréquemment pour tout cinéaste un tant soit peu talentueux originaire d'un pays lointain. C'est le cas de Mendoza, dont ce « Captive » semble être pensé pour satisfaire ce public occidental : un mélange de cinéma auteuriste asiatique, une vague réflexion sur les conflits religieux et le rôle de l'armée aux Philippines et la présence d'Isabelle Huppert au générique (une certaine idée du cinéma intello).
« Captive » ne se résume cependant pas qu'à ça et semble partagé entre trois autres aspirations. Tout d'abord, on ignore si Mendoza a vu le dernier film de Mathieu Kassovitz, « L'Ordre et la Morale », mais les deux films sont proches, retraçant chacun une prise d'otage dans la jungle finissant en drame à cause d'un gouvernement et d'une armée incapables de réagir de la bonne manière. Mendoza se montre moins manichéen que Kassovitz dans « L'Ordre et la Morale »: le gouvernement philippin est tout autant visé que les rebelles musulmans. Le problème se trouve dans l'incapacité de Mendoza de creuser son sujet au-delà de son simple récit factuel : « Captive » est un exposé de collégien là où le film de Kasso polémiquait avec une certaine intelligence. En réalité, Mendoza ne pouvait pas en faire autant, son film ne s'adressant pas à ses compatriotes mais à des étrangers forcément moins informés sur l'actualité philippine, d'où une certaine superficialité.
La deuxième voie suivie par Mendoza dans « Captive » se retrouvait également chez Kassovitz : derrière l'aspect auteuriste, se cache la frustration hollywoodienne. Il y a ici un réel plaisir du cinéaste à filmer des fusillades, des assauts et des explosions. Malheureusement, dans sa volonté d'être « réaliste », de coller aux faits et de les recréer par la magie du cinéma, Mendoza a la mauvaise idée, de plus en plus courante, de filmer à l'épaule comme un parkinsonien très mal en point : recadrages incessants et coups de zoom intempestifs ne font une fois de plus que nous rappeler de l'artifice du dispositif ; on a déjà vu des films de « found footage » qui bougeaient moins, ou alors plus intelligemment.
Troisième chemin emprunté par Mendoza : l'auto-célébration. Le film, dont on imagine très bien les conditions désagréables de tournage, est aussi un documentaire sur le travail de son auteur, fou furieux prêt à braver les éléments pour finir son oeuvre. En cela, « Captive » rappelle les meilleurs films de Werner Herzog (« Aguirre » et « Fitzcarraldo » en tête, jungle oblige) : folie des grandeurs et mégalomanie sont au rendez-vous. Le talent un peu moins : si les deux réalisateurs cherchent à montrer des images spectaculaires, Herzog le fait avec poésie tandis que Mendoza en est incapable, empêtré qu'il est dans sa double obsession schizophrène de réalisme documentaire et de fantasme hollywoodien.
« Captive » a également le défaut d'accumuler les poncifs du film de prise d'otages (combats, fusillades, exécutions, torture, syndrôme de Stockholm...), mais ce sont deux autres fulgurances visuelles qui s'avèrent être les pires moments du film. Il y a tout d'abord une scène d'accouchement, dont la justification peut difficilement s'expliquer autrement que par la volonté de Mendoza de pouvoir dire qu'il en a vraiment filmé un (toujours l'obsession de montrer du réel, du vrai). Et il y a aussi une scène onirique, la seule du film d'ailleurs, où Isabelle Huppert suit dans la forêt un oiseau mythologique, moment assez gênant de kitscherie numérique, répondant sur le papier à une certaine demande du public occidental en mal d'exotisme : c'est une scène de rêve, sans enjeu narratif, grosse tâche fluo sur un tableau prétendument « réaliste », non seulement pas très belle mais de surcroît absolument déplacée dans le cadre du film. « Captive » est la preuve flagrante qu'en matière de cinéma non plus, on ne peut pas toujours avoir le beurre et l'argent du beurre, rester soi-même et plaire aux producteurs et spectateurs européens.