La première incursion du surdoué coréen Park Chan-Wook en territoire américain avait vraiment de quoi intriguer. Alors quand, en approfondissant un peu mes recherches sur ce Stoker, je découvre que le cinéaste s'est adjoint les services de Clint Mansell à la BO, a conservé son chef-op (et donc me dis-je, très certainement l'omniprésence visuelle de l'ambiance de ses films, presque turgescente, que j'aime tant) et qu'en plus le scénario est écrit par Wentworth Miller (pas forcément un gage de qualité a priori mais quand même quelque chose d'assez intriguant là-aussi) ; je n'ai eu d'autre alternative que de foncer. Alors, qu'en ressort-il, de ce thriller psychologique et macabre ? Et bien en fait, un paquet de choses. Un paquet si gros qu'il confère au film une richesse sidérante, opaque peut-être, mais aux interprétations si diverses que leur nombre et l’impossibilité de les départager renchérissent sur le trouble apporté par la musique de Mansell et la maîtrise virtuose de la caméra dont témoigne Chan-Wook, qui allie la grâce esthétique qui permet une vraie impression poétique à une puissance macabre dérangeante. Au-delà du simple hommage à Hitchcock (Sueurs froides est le film préféré du réalisateur coréen), auquel il emprunte ses thématiques et ses personnages, Stoker est, de façon palpable, un film sur le passage à l'âge adulte. Mais on peut également y voir un film de vampires ("Stoker" serait-il une référence au nom du père de Dracula ? L'oncle Charlie n'a t-il pas un comportement suspect ? Thirst, le précédent métrage de Chan-Wook, ne traitait-il pas, justement, de vampires ?). On est ensuite en droit de se demander quelle est la nature réelle des personnages, leur vécu et la réalité de leurs interactions, ce qui rend le récit opaque, sibyllin et troublant. C'est ici, comme je l'ai déjà évoqué, que se manifeste la maestria de Park Chan-Wook et sa facilité à conférer au film une aura morbide et glauque sans pour autant sombrer à l'excès dans des processus angoissants qui auraient fait basculer Stoker dans le film d'horreur flippant mais en manque de finesse et d'énigme. Il serait aussi vain de détailler tous les processus techniques que de disséquer le génie, ce qui lui ôterait d'ailleurs son potentiel mystique, ou plutôt la réceptivité du spectateur vis à vis de lui. Mais je me dois quand même de parler ne serait-ce que de ces magnifiques passages ou la réalisation se déconnecte complètement des perceptions des personnages, pour une narration externe qui empêche la prise de repères sur les protagonistes. Rien que l'ouverture et ses arrêts sur image signalent que tout au long, on sera impuissant à décrypter Stoker ou comprendre sa trame et ses multiples implications. Il ne reste plus alors, qu'à se laisser bercer par le halo macabre dont le film est nappé, poésie glauque mais magnifique qui finit par demeurer la seule chose stable de l'oeuvre à laquelle on puisse s'accrocher. J'aime assez le concept choisi, celui de rendre le spectateur impuissant, de le perdre dans un monde labyrinthique empli de métaphores et de possibilités. Beau, troublant, complexe et virtuose. Une vraie et très agréable mini-claque.