Ecrit par Wentworth Miller, acteur dans Prison Break, Stoker est le premier film à Hollywood de Park Chan-wook. On comprend pourquoi le cinéaste de Old Boy s’est arrêté sur ce scénario là. On y retrouve ses thèmes de prédilection : une histoire de famille, de vengeance et de cruauté.
Le film est une boucle. Les images du début ne prennent leur sens qu’à la fin. On y voit une fleur blanche et rouge et une jeune fille, India, les jambes nues, l’herbe caressant ses mollets. La lumière du soleil et les couleurs donnent à la scène un caractère très éthéré. Pourtant, India est loin d’être une jeune fille en fleurs. En voix off, elle nous explique qu’elle est différente, qu’elle voit et ressent des choses que les autres ne voient et ne ressentent pas, et que nous ne sommes pas responsables de ce que nous sommes. Tout au long du film, la caméra de Park Chan-wook s’applique à suivre les perceptions et les sensations de son personnage. D’où une suite de gros plans, de détails et de plans subjectifs pour nous faire pénétrer dans l’univers d’India.
Park Chan-wook est clairement influencé par Hitchcock. Mais là où les films d’Hitchcock suggéraient, Stoker montre trop, à grands coups de montage parallèle (comme dans la scène d’India sous la douche). Il souligne trop (le mouvement de l’ange pour illustrer le thème de la répétition et du double par exemple). Tout est calculé, rien n’est mystérieux.
Le film commence alors qu’India vient de perdre son père, mort dans des circonstances étranges. À l’enterrement, elle est la seule à apercevoir un homme, en retrait, qui observe la cérémonie. Elle le revoit chez elle et apprend que c’est son oncle dont elle ignorait l’existence et qui vient s’installer avec elle et sa mère (Nicole Kidman, ravagée par le botox). L’ambiance familiale est pesante, entre le mutisme d’India et l’égoïsme de sa mère. Le rythme est lent, sans accélération, c’est un rythme adapté à des personnages froids et impassibles. Tous les ingrédients atemporels du drame bourgeois dans la famille dysfonctionnelle sont là : le jardin bien entretenu, les serviteurs, le piano, l’immense table en bois massif autour de laquelle on fait semblant de sourire et de converser, etc. La maison est coupée en deux, en haut, les apparences, où tout est lumineux, beau, riche, en bas, la cave, sale, mal éclairée, malsaine. Le film est d’ailleurs une avalanche de métaphores et de symboles mis les uns à la suite des autres (l’araignée, les chaussures, les yeux d’India, les cheveux de la mère, le morceau de piano à quatre mains, etc.).
Avec ses lunettes et son sourire ravageur, l’oncle Charlie vient, à la manière de Terence Stamp dans Théorème, faire éclater les apparences et surgir les désirs. Mais Pasolini questionnait et dérangeait, alors que le maniérisme de Park Chan-wook ne suscite aucune émotion.
Mais le problème du film au final, ce n’est pas tant la réalisation de Park Chan-wook que le scénario de Miller. C’est une gageure que de faire en sorte que le spectateur s’attache à des personnages abjects et immoraux. The Killer Inside Me y était arrivé grâce à une voix off qui construisait le personnage et le rendait vivant et presque sympathique. Dans Stoker, malgré les efforts de Park Chan-wook pour nous restituer les émotions d’India, on ne s’identifie pas, on n’éprouve rien pour les personnages, et donc on n’est pas dérangé, on n’a pas à se situer, ni à interroger notre regard.
India, c’est Mercredi Addams qui aurait grandi mais qui ferait toujours autant la gueule. C’est une sorte d’Alice qui entre dans le monde de la folie et qui ne veut plus en ressortir. On assiste à son apprentissage, à sa lente transformation, ou plutôt à une lente éclosion de ce qui était toujours là, en germe. Car finalement ce que dit le film, c’est que la violence, comme la couleur des yeux, se transmet dans les gènes. On naît bon ou mauvais, c’est dans le sang. Mouais. Dans La famille Addams c’était drôle. Mais le problème avec ce genre d’idées, outre les implications morales, c’est que c’est dur de faire un thriller avec. Si la violence et la cruauté sont ataviques, alors tout est prévu à l’avance, il n’y a pas ou peu de surprises, et on s’emmerde. Et c’est bien ce qu’il se passe avec Stoker.