Un dimanche soir. Maudit changement d'heure : à peine le nombre 18 s'affichait-il sur les montres, il faisait déjà nuit. Pas un chat. La salle était sombre. Plongé dans l'obscurité. L'on entendait les fauteuils rouges qui grinçaient, parfois. Quelques rires se tortillant vers l'écran. Pendant de longues minutes, une musique un peu douce. Et, plus rien. Juste le bruit d'un verre posé sur une table. Un petit "TAC" anodin, insignifiant. Puis une sonnerie de téléphone. Puis des pas. Puis des rires narquois. Enfin, le cri désespéré mais inaudible de George Valentin (Jean Dujardin), prisonnier dans son cauchemar d'un monde trop bruyant qui le laissera sur le bord de la route. Il y avait cette ambiance, cette émotion, palpable, évidente, baignant nos visages de spectateurs amoureux. Il y avait ce rayon de lumière noire, blanche, projetée sur la toile, effleurant le bout de nos crânes. Et il y avait le silence, aussi. Un beau et long silence. Il était tel, que l'on aurait même pu entendre les cris et la musique assourdissante du Tintin de Spielberg, dans la salle d'à côté. Où le rire incessant des spectateurs se régalant d'Intouchables, dnas la salle un peu plus loin... Un autre genre. Sans doute... Car le silence dominant était aussi magnifique, illustrant à merveille la beauté des images et la réalisation sublime d'Hazanavicius. Celui-ci, d'ailleurs, cinéaste mystérieusement attaché à ses vieilles bobines de grenier des années 20 (pour ce film-ci) à 60 (pour les OSS117), des babioles soit ringardes soit poussiéreuses et finalement si attachante, atteint, ici, l'aboutissement de son oeuvre. Un retour aux sources du cinéma, et pas des moindres. Pari risqué, financièrement insurmontable, et finalement ?... Réussite oui, chef-d'oeuvre, non. Le film eut-il été un peu moins sage, sans doute, dans son scénario charmant mais pataud, son histoire sympathique, universelle, mais finalement assez barbante ; cela aurait été parfait. Aurait-on voulu, même, l'oublier, cette histoire, une nouvelle fois. Celle des amours perdus et déviants qui se retrouvent à la fin, lors d'une scène, qui forcément (parce que l'amour c'est beau, c'est bien), nous fera vibrer... Sauf que là, étrangement, non. Et qu'aurait-il resté de tout cela, se dit-on, sans ces moments de poésie sublimes, où l'écriture devient visuelle, où la mise en scène touche à cette perfection technique et artistique incroyable ? La mise en scène, il faut en parler, elle est sublime, travaillée, intéressante. Elle donne à cet "Artist" ce relief et cette intensité grandiloquente propre au muet perdu dans son histoire. C'est bel et bien un exercice de style, un beau et bon travail, à voir sur grand écran, si possible. Tenant tout du long sur la corde raide entre poésie intimiste magnifique et divertissement familial ludique un peu moins interessant, c'est sa réalisation qui l'emporte. Dujardin aussi. Formidable, il fronce les sourcils, sourire en coins, mimiques milimétrées parfaites. Béjo illumine de sa grâce. Le film, amoureux, plein de passions, respirant le cinéma, emprunte aussi, à notre plus grand plaisir de cinéphiles satisfaits, ces grands films du patrimoine que sont Sunset Boulevard pour son idée de départ, et bien sûr Chantons sous la pluie, inoubliable...Et soudain, s'installe la nostalgie d'une époque retrouvée, et son écroulement. Les images défilent. S'y reflète surtout l'Amérique de ces années là, sa folie des grandeurs, ses lieux mémorables, son besoin de création. Avec pour seuls mots, quelques notes de musique et le "TAC" d'un verre posé sur une table...