Le premier film de David Lynch s'inscrivait dans la droite ligne de ses court-métrages d'étudiant, armé des mêmes thèmes et de la même recherche expérimentale portée par un noir et blanc glauque, une bande-son qui sature l'espace et une forêt de symboles qui tissent sans arrêt un lien oppressant entre psyché et organique, dans une toile d'araignée qui s'étend inextricablement vers la conscience du spectateur. On peut d'ailleurs s'étonner, a posteriori, de constater la cassure stylistique qu'opérera Lynch avec Elephant Man, son long-métrage suivant. Même si, derrière le classicisme formel religieux de ce dernier se cache également une âme tout à fait lynchienne, un regard fasciné sur une humanité déformée et dont le cœur profond palpite loin de l'endroit où on s'y attend. Là s'inscrit également le programme de ce Eraserhead, qui déforme et distend complètement les contours de notre perception sur notre nature. The Grandmother, troisième court-métrage de Lynch, parlait déjà de l'impossibilité à grandir ; Eraserhead y ajoute celle à être parent, ou plutôt la véritable expérience d'une parentalité qu'il regarde comme profondément névrosante. Camisoles de l'âme, prisons du sub-conscient, la vie de couple, la sexualité et la parentalité sont désacralisées dans un mouvement trivial parfois extrêmement dérangeant, et Lynch les regarde se heurter avec les pâles constructions cérébrales qui en font des repères stables chez la presque totalité des hommes. "In heaven, everything is fine, you've got your good things and I've got mine." Vision terrible du couple, énoncée par la femme du personnage principal au visage déformé, qui raconte son ancrage comme construit sur des bases essentiellement égoïstes, sans lien véritable entre deux âmes qui ne cessent au contraire de s'y entre-dévorer. En désincarnant complètement la vie, à travers ses impulsions les plus apparemment normales, Lynch semble se présenter comme un homme profondément torturé, incapable de s'illusionner et sans cesse confronté à un abyme dans lequel son être se dissout. Si son imaginaire est parfois difficile d'accès, et si certains symboles sont un peu grossiers, Eraserhead est truffé de visions prégnantes et traversé par une morbidité trop palpable pour ne pas être spontanée. Il peut alors devenir fascinant de démêler ses mystères et de tenter d'y lire les motifs primaux, les pulsions sub-conscientes à la base du cauchemar. Éprouvant et marquant.