Dès son premier long-métrage, Eraserhead, nous trouvons les codes habituels de l'univers de Lynch, à savoir un personnage emplit de culpabilité qui doit choisir entre la lumière et les ténèbres, entre la blonde ou la brune, le tout transfiguré dans un monde onirique inquiétant. Tout comme Orson Welles et son Citizen Kane, Lynch commence sa carrière par un chef d’œuvre qui surpasse peut-être toutes les œuvres qui suivront. Très proche du cinéma muet (très peu de dialogues), à la fois surréaliste et expressionniste, Eraserhead laisse comme tous les films du réalisateur la liberté d’interpréter. On peut y voir notamment un homme pris au piège de la paternité. Adieu la progression sociale, adieu les autres femmes (la voisine brune), adieu même la possibilité d'une vie d'artiste (la scène de music-hall derrière le radiateur). Il doit s'occuper de ce bébé, qu'il voit hideux et bruyant, et se contenter de sa femme frigide. Lynch symbolise cet empêchement d'évoluer dans la vie à cause de l'enfant par les scènes où la tête du bébé remplace celle du personnage principal (puis on extrait de sa tête un crayon à gomme, sa vie est rayée d'un trait ou plutôt gommée) ou encore quand l'ignoble bébé se moque, rigole au nez de son père. Et, comme dans Mulholland drive dans lequel l'héroïne est traversée par la culpabilité pour avoir commandité un meurtre, comme dans Inland Empire pour s'être adonné à la prostitution en attendant le retour du père et de l'enfant, comme dans Lost Highway pour avoir tué sa femme, dans Eraserhead le personnage principal a tué son enfant, se sent coupable et revoit les faits en rêve. La culpabilité éprouvée est rendue en image par le bébé qui, alors qu'il vient d'être tué, devient énorme et effrayant. Mais comme je l’ai dit, Eraserhead est hyper visuel et contient très peu de dialogue, c’est donc l’un des Lynch les plus ‘interprétables’, mais aussi peut-être le plus fascinant, troublant, effrayant, atypique, dérangeant, bref un de ses meilleur.