C’est peu dire que de dire que « De bon matin » prend aux tripes et nous met mal à l’aise. Ce n’est pas le genre de film pop-corn qu’on va voir en famille un samedi après-midi, « De bon matin » est un film qui vous colle à la peau après la sortie de la salle, comme un sparadrap dont on ne peut se débarrasser. La réalisation est ultra-sobre, à la limite de le l’austère, aucune musique, des couleurs froides, des longs moments de silence, des scènes un peu étranges aussi (comme celle où ils se lavent les dents deux fois jusqu’au sang, sans qu’on comprenne bien pourquoi). Alors évidement, cette froideur ne va pas plaire à tout le monde, c’est évident, et pourtant elle sonne tellement juste qu’elle en fait froid dans le dos. Elle est à l’image de Paul (formidable Jean-Pierre Daroussin !), ce cadre commercial à la vie si bien rangée et qui bascule dans la dépression lorsque qu’un jour, on décide de le mettre au placard. Les méthodes de management qui lui sont appliquées (mobilités forcée, changement de poste du jour au lendemain, dossiers qu’on vous retire brusquement sans raison, audit qui vous reproche aujourd’hui ce qu’on mettait à votre crédit hier,…) rappelle celle d’une certaine entreprise de téléphonie bien connue. C’est aussi et surtout cela qui met mal à l’aise, parce qu’on sait très bien que ce qu’on voit à l’écran n’est absolument pas exagéré. Le fait que l’intrigue soit déplacée vers une banque permet juste de l’ancrer un peu plus dans la réalité économique du moment mais beaucoup d’entre nous savent que ces méthodes se répandent dans les grands groupes privés et dans certaines administrations... C’est une longue descente aux enfers pour ce cadre, sous les yeux gênés (et vaguement complices) de ses collègues, et qui finit aussi par abîmer ses relations familiales. Tous les signes avant-coureurs de son geste fatal sont là, aux yeux de tout son entourage, et personne ne voit rien, ou feint de ne rien voir. Pourtant, son geste fou n’est pas un geste impulsif, très préparé et prémédité, c’est un geste parfaitement réfléchi, ce qui le rend encore plus insoutenable ! On ne doute pas une seconde de que qui arrivera quand le RAID encerclera le bureau de Paul, mais la fin est quand même et malgré tout un choc, à laquelle moi je n’ai pas réellement réussi à me préparer. C’est, en résumé, un film très noir, parfaitement interprété et réalisé, même si je concède quelques longueurs, il ne dure qu’une 1h30 mais il met tellement mal à l’aise qu’il donne l’impression d’être bien plus long, comme ces cauchemars dont n’a l’impression qu’ils ne finiront jamais ! C’est aussi un film dont on voudrait bien qu’il serve de détonateur, qu’il serve à une certaine prise de conscience… Mais je ne suis pas sure que le cinéma puisse changer la vie.