Après le choc "District 9", Neil Blomkamp est devenu instantanément l’un des réalisateurs à suivre et était forcément attendu au tournant. Il aura, donc, fallu attendre 4 ans pour qu’il nous livre son nouveau film dont le sujet s’avérait tout aussi surprenant que celui de "District 9". En effet, après l’allégorie extra-terrestre de l’Apertheid, Blomkamp décide de traiter de l’immigration mexicaine aux Etats-Unis à travers cette histoire de lutte des classes entre les pauvres restés sur une Terre dévastée et les riches réfugiés sur une station orbitale paradisiaque… Soit un sujet particulièrement propice aux dérapages démagos les plus primaires, surtout avec Matt Damon (connu pour ses prises de position très politiquement correctes) en tête d’affiche. Pourtant, et c’est la première (et meilleure) surprise du film, le héros campé par Matt Damon (impeccable comme toujours) n’est, en aucun cas, un porte-drapeau de la cause des pauvres, ni même un rebelle allergique à l’autorité mais, simplement, un ancien voyou reconverti, qui agit par nécessité (son irradiation et sa mort prochaine) et non par idéal. II ne s’agit pas du seul piège évité par le réalisateur puisqu’il dresse, également, un portrait assez subtil des passeurs (davantage motivés par l’argent que par une quelconque charité et personnifiés par l’excellent et méconnu Wagner Moura) et des Élyséens, terrifiés à l’idée de voir leur mode de vie perturbé par des envahisseurs. "Elysium" démarre, donc, très bien et impressionne, dans sa première moitié, par sa capacité à mettre en place des décors époustouflants (la Terre dans un état de délabrement et de surpopulation très crédible, Elysium comme caricature du paradis terrestre tout équipé…) ainsi qu’un univers atypique mais totalement réaliste dans les motivations des personnages et dans leur quotidien (comme "District 9", avec lequel le film partage le même ADN). Malheureusement, "Elysium" opère un virage scénaristique à mi-bobine, c'est-à-dire à compter de la traque du héros. En effet, la critique sociale si pertinente jusque là et le fond si subtilement exploité font place à une succession de scènes d’actions, certes spectaculaires mais un peu trop déjà vues, voire redondantes, avec un héros transformé en surhomme via un exosquelette et des armes futuristes. On a ainsi droit à des courses poursuites, à des attaques de vaisseaux ou encore à des duels mano a mano qui auraient pu satisfaire pleinement le spectateur dans un film plus " classique" mais qui se révèlent insuffisants ici. La faute à la première partie du film, sans doute trop riches en promesses…mais également à l’éparpillement de Blomkamp qui parait ne plus savoir où donner de la tête. Ainsi, le grand méchant du film, interprété par l’extraordinaire Sharlto Copley (décidément sous-exploité à Hollywood) est un sociopathe de premier ordre mais connaît une évolution particulièrement banale qui prive le personnage de l’aura qu’il aurait mérité. Idem pour la rigide Secrétaire à la Défense (Jodie Foster, toute en autorité naturelle), dont les agissements sans concessions intriguent mais qui disparaît sans qu’on en sache beaucoup sur ses motivations. Au lieu de soigner ses méchants, Blomkamp a préféré se concentrer sur la love story de son héros avec son amie d’enfance (Alice Braga, toujours aussi transparente) et sa promesse de faire soigner sa fille mourante… ce qui fait perdre énormément d’originalité à l’intrigue. Mais surtout, le principal défaut de cet "Elysium" est de se montrer, au final, d’une grande malhonnêteté intellectuelle. Car, la conclusion du film confirme que le réalisateur (qui entendait pourtant dénoncer l’exploitation de la main d’œuvre mexicaine aux USA) n’a jamais axé son intrigue sur la différence de niveau de vie entre les riches et les pauvres mais sur les MedBox, ces cabines médicales qui permettent de soigner tout problème de santé et qui ne sont présentes que sur Elysium. En effet, il ressort de l’intrigue que les Terriens veulent aller sur Elysium uniquement pour soigner une maladie incurable sur Terre et non pas pour profiter des infrastructures paradisiaques de la station orbitale ! Dans ce cas, il parait incompréhensible que les Elyséens n’aient pas eu l’idée d’envoyer des MedBoxs sur Terre afin de calmer la population et de préserver la station orbitale de toute invasion ! Blomkamp a-t-il voulu aller au-delà de l’allégorie sur l’immigration mexicaine et se livrer à une métaphore plus générale de l’accès aux soins aux Etats-Unis, davantage réservé aux classes aisées ? C’est possible mais, dans ce cas, le mélange des genres (ou plutôt la multiplicité de critiques sociales) s’avère contre-productive puisqu’il laisse entendre qu’il suffirait que les pauvres aient accès aux soins pour mettre un terme à toutes tensions sociales… ce qui serait un summum de naïveté. Blomkamp aurait sans doute dû davantage radicaliser les Terriens, en mettant en exergue les tensions suscitées par la différence de niveau de vie (surtout avec une Elysium qui trône fièrement au-dessus de leur tête) ou en axant sa réflexion sur le partage des richesses. En occultant toute considération financière, "Elysium" perd donc en objectivité et en pertinence (ce qui n’était pas le cas de " District 9"). En sa laissant aller à une surenchère spectaculaire à mi-bobine, il perd en originalité et en profondeur. Pour autant, Neil Blomkamp réalise un film à grand spectacle servi par un BO parfaitement exploitée (signée Ryan Amon), qui ravira les fans de science-fiction sans pour autant froisser les réfractaires (ce qui est définitivement le plus grand talent du metteur en scène) et qui brille par sa représentation terriblement réaliste du futur. S’il avait s’agit d’un premier film, j’aurais peut-être été moins exigeant. C’est tout le problème de commencer sa carrière de réalisateur par un film choc.