Pour "Starbuck", j'ai fait une entorse à la règle que je me suis fixé il y a bientôt sept ans et que j'ai respectée presque 500 fois, à savoir de critiquer des films sortis dans la semaine, voire pas encore sortis. Ce film est toujours à l'affiche trois mois après sa sortie en salles, plus de 350 000 spectateurs l'ont vu malgré une distribution modeste, et la moyenne des étoiles des spectateurs (4,4/5) est supérieure d'un point à celle de la presse (3,4), sans compter que deux amis, chacun de son côté, me l'ont recommandé chaleureusement. Ma résistance à aller le voir résidait sans doute dans une certaine méfiance devant la propension des comédies québecoises à tirer facilement les grosses ficelles des bons sentiments, et au fait que les trois critiques qui baissent la note d'Allociné sont ceux de Libération, Le Monde et les Cahiers du Cinéma, ça donne quand même une indication...
Générique, noir, une voix dans une salle d'attente, "David Wozniak, salle 4". Puis un plan fixe, une secrétaire explique à David comment s'y prendre : les revues porno, la coupelle en plastique ; la caméra est à 1 m de hauteur et bien sûr, le centre du cadre est sur l'objet de cette activité lucrative, et pour bien faire, on ne voit pas leurs têtes : après tout, le donneur est anonyme, c'est même ça tout l'enjeu du film. Après une scène sur la difficulté de David à fournir qui confirme mon inquiétude sur la subtilité relative des comédies de la Belle Province, ellipse de vingt ans, gros plan sur des factures impayées au même nom de David Wozniak pendant que le héros se fait attraper par deux mastards qui le plongent dans sa baignoire pour l'inciter à régler ses dettes.
Puis suivent quelques scènes qui finissent de brosser le portrait d'adolescent attardé de David : il arrive en retard à la boucherie familiale, se fait pourrir par son contremaître de grand frère, puis doit subir les angoisses de son petit frère qui va devenir papa, pour enfin se faire suspecter par son père d'avoir oublié d'aller chercher les "chandails", c'est-à-dire les maillots de l'équipe de foot, euh pardon, de soccer composée pour moitié de la famille Wozniak, puisque les Polonais, c'est comme les Italiens, ça reste catho et footeux. Bien sûr, l'imprécation fonctionne et malgré toute sa bonne volonté, les chandails partent à la fourrière avec le camion de David et la photo officielle se fera sans. On l'a compris, et son éviction de la vie de la mère de son futur enfant le confirme, David est un étalon sur l'échelle de la loose.
Puisqu'on parle d'étalon, signalons la signification du titre : Hanoverhill Starbuck est le nom du taureau à la génétique quasi parfaite qui est encore à ce jour le meilleur géniteur que le Centre d'Insémination Artificielle du Québec n'ait jamais eu. Car voilà le sujet du film, celui de la paternité ; à l'heure où David va se retrouver père tardif et pas forcément intentionnel, il se découvre géniteur de plusieurs centaines de rejetons dont 124 revendiquent au titre du droit à l'identité à connaître le nom de celui qui les a procrée. C'est d'ailleurs là que réside la première mystification du scénario : on ne voit jamais les mères, et un des enfants de Starbuck parle même de "famille adoptive", ce qui me semble bien abusif puisqu'ils ont bien été "adoptés" neuf mois avant leur naissance.
Le succès du film réside dans une habilité du réalisateur à être en permanence sur le fil entre le rire et l'émotion, sachant qu'on frôle constamment l'humour lourdingue et les bons sentiments (qui, comme le savent mes lecteurs assidus, ne font pas les bons films). Ken Scott parvient à éviter la plupart des pièges d'un tel scénario grâce à des ruptures de tonalité qui évoquent la comédie italienne des années 60-80, et une propension au burlesque qui fonctionne souvent bien, comme le réflexe pavlovien de David dès qu'il est acculé à proclamer "Yo no Soy David Wozniak !".
On rit, et plutôt souvent, et on peut se laisser attraper par l'émotion. Mais en même temps, une petite voix dans la tête nous interpelle sur ce qu'on nous montre en réalité : il n'existe pas d'autre accomplissement que la paternité, et plus précisément, la paternité biologique ? Dans l'échantillon statistique que représentent les 124 spermatozoïdes finalisés, il y aurait les bons, ceux dont David peut être fier (le footballeur, l'acteur, le chanteur) et ceux que l'ange gardien devra ramener dans le droit chemin (la junkie, le clone de Marylin Manson, l'homo qui passe de partenaire en partenaire et que dire alors de l'handicapé) ?
Je lisais la critique d'un spectateur qui disait que si le film avait été américain, il l'aurait détesté, ou il ne serait même pas allé le voir. Cela me semble assez juste, la québéquitude du film incite à l'indulgence, avec ses expressions en joual, cocktail de proximité et d'exotisme, et ces scènes buccoliques de barbecue géant et de soirée feu de camp où l'on chante du Roch Voisine au bord du Saint-Laurent. Mais l'influence des voisins du sud est évidente dans ce feel good movie, jusqu'à ce mélange de politiquement correct et de subtilement conservateur, le tout emballé dans une réalisation futée et efficace qui vous incite à débrancher votre cerveau, chose qui a presque failli marcher avec moi !
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