Considéré par les "cinéphiles" comme un monument du film noir d'après-guerre, "Le troisième homme" est pourtant très imparfait, et ce à beaucoup de niveaux. Tout d’abord, certains choix de mise en scène m'ont paru terriblement ratée, à commencer par les plans obliques (qui font davantage série Z que film d’espionnage) ou l’utilisation du la musique d’Anton Karas (et sa légendaire cithare) qui est, certes, devenu un classique depuis, mais qui m’a paru en totale décalage avec le ton sombre du film. Ces erreurs sont d’autant plus voyantes que la mise en scène de Carol Reed est, malgré tout, l’un des points forts du film. En effet, Reed a su parfaitement exploiter l’image en noir et blanc dans ce Vienne dévasté par la Guerre et donne de la ville en reconstruction une vision délicieusement lugubre (les ruines, les égouts, la foule…). L’intrigue colle parfaitement à cette atmosphère, avec une paranoïa de chaque instant qui contraint le spectateur à se méfier de tous les personnages et à rester sur ses gardes quant à ses certitudes. Pour autant, on peut reprocher à l’intrigue d’être assez prévisible (qui peut imaginer que Harry ait vraiment été tué, ne serait-ce qu'en raison du titre et de l'affiche ?) mais également de cumuler les longueurs (essentiellement lors de l’amorce d’histoire d’amour entre Holly et Anna) et les incohérences. A ce titre, je me demande encore comment un escroc de l’envergure de ce fantomatique Harry, qui a orchestré sa mort et n’hésite pas à trahir ses amis, a pu faire preuve faire preuve d’une telle imprudence en convoquant un ancien ami à Vienne et en se confiant à lui au point de causer sa perte ? On est loin du caïd increvable qu’on nous promettait pendant les deux tiers du film où Harry est évoqué comme une légende. Heureusement, le personnage bénéficie de son aura mystérieuse (son absence à l’écran pendant une heure y est pour beaucoup), d’une première apparition extraordinaire (mention au jeu d’ombre et de lumière) et de l’interprétation toujours irréprochable du monstre de charisme Orson Welles qui, en quelques dialogues (voir la formidable tirade sur les bienfaits de la décadence sur l'évolution d'une société) et quelques scènes seulement, parvient à voler la vedette au reste du casting. Pourtant, les acteurs entourant le monstre sont impeccables, que ce soit Joseph Cotten en écrivain raté s'improvisant enquêteur, Alida Valli en émigré amoureuse, Trevor Howard en militaire autoritaire ou encore Bernard Lee en sergent dévoué. "Le troisième homme" est donc un film d'espionnage imparfait mais, surtout, une formidable photographie de son époque qui dépeint une Europe qui peine à se relever du terrible conflit qu'elle vient de subir et qui s'avère être un terrain de jeu propice aux escrocs en tout genre. En cela, le propos du film est incontestablement intemporel. Dommage qu'il soit si daté sur le plan formel...