Le Troisième Homme a accédé au rang des chefs d'oeuvre du cinéma mondial les plus souvent cités en marquant les esprits par quelques plans -uniques-, une mélodie -unique-, une tirade -unique-, et une ambiance -unique.
Vienne n'est pas Prague, très loin de là. Jusqu'en 1950, nul n'y aurait vu une capitale prédisposée pour l'expressionnisme. Mais l'avant-guerre, la guerre et l'après-guerre ont transformé le classicisme de son faste en théâtre d'ombres, ses lendemains de valse en aubes glauques et son sous-sol en lacis d'égouts, hanté et traqué.
Une tout autre musique se fait entendre que naguère, celle d'une cithère balkanique, insistante, moqueuse et distante à la fois. La ville est quadrillée par les quatre forces d'occupation alliées, qui cohabitent plus qu'elles ne coopèrent, et n'hésitent pas à s'inviter dans les foyers, ausculter les identités, convoquer. La population vit tout cela, la fois rageuse, craintive et désappointée.
Cotten, prénommé Holly comme le début d'un chewing-gum ou d'une capitale du cinéma, n'en pas un saint mais plutôt un auteur de 'comics' dont l'inculture consterne l'auditoire venu l'entendre débattre. Lui-même n'est venu ici qu'à l'appel d'un ami d'enfance, Harry Lime, dont il découvre, en enquêtant sur sa mort suspecte, qu'il est impliqué dans un immonde abus de faiblesse, un trafic de pénicilline.
Ce Roméo qui n'a rien d'un alpha croise durant son enquête l'ex-amie de son ami, Anna, une Juliette ligotée dans la dépendance à des faux papiers, qui l'accueille avec décence mais réserve, l'accompagne mais le toise, et ne compte plus sur rien en définitive que sur elle-même. Ses réserves de flamme et de fraîcheur paraissent avoir été préemptées par Harry, à qui elle doit ses papiers et sa vie sauve, mais aussi un coeur resté un peu prisonnier.
La police pourchassait pour ses forfaits Harry, qui pour survivre a fait mourir à sa place un autre. Holly de son côté s'embourbe dans son enquête, jusqu'au point de se voir suspecté d'avoir assassiné un témoin gênant. Ce n'est qu'à se moment-là que la police assure son emprise sur Holly, et lui dévoilant le résultat des trafics de Harry.
Mais Holly n'aurait su de tout cela que des échos si Harry ne lui avait dévoilé sa présence dans le rai de lumière d'une porte cochère, et plus tard son essence, du haut de la grande roue du Prater où ensemble ils devisent de la valeur d'une vie humaine, presque à hauteur de bombardier.
Aussi Holly finit-il par se décider à trahir Harry et le livrer à la police anglo-autrichienne. Harry devient-il alors la proie de son destin ? il fuit dans les égouts de Vienne s'y voit bientôt cerné, au point d'abattre un policier, avant d'être lui-même abattu, à moins qu'il ne s'agisse d'une nouvelle feinte in extremis, puisque le seul témoin visible de sa fin est... son ami Holly.
Une poignée de terre plus tard, jetée une nouvelle fois sur le cercueil de son ex-protecteur, Anna conclut l'épilogue en s'éloignant seule dans l'aube blafarde, sans accorder un regard à Holly.
Le Troisième Homme appartient à cette rare catégorie de films qui montrent ce qui se cache, et cachent un peu ce qu'ils montrent, juste assez pour marquer leur époque et ce monde.