Dès l'origine du projet, il était entendu pour le réalisateur que les caractéristiques formelles du film devaient se démarquer singulièrement. Lui qui savait pertinemment s'attaquer à un sujet périlleux, se devait de tenter un pari audacieux. Parmi les motifs les plus évidents de prise de risque, il y a d'une part le jeu autour de la frontière romanesque/réalité des faits, sur laquelle le spectateur ne peut s'empêcher de s'interroger. Il y a ensuite la question de la démesure temporaire qui n'a pu (voulu?) être tranchée au point de voir le projet exister sous deux formes distinctes, l'une pour le cinéma et l'autre, d'un format tout à fait inhabituel, pour la télévision. Un fait exceptionnel.
Le film a été réalisé à partir d’un important travail de documentation historique et journalistique. Mais il est important de préciser que, la vie de Carlos comportant d’importantes zones d’ombre sujettes à controverse, ce film est avant tout une fiction et ne doit pas être pris comme un documentaire.
Le personnage de Carlos est un mythe contemporain et sa place dans l'imaginaire collectif ne peut être mis en cause. Une dimension dont Olivier Assayas a pleinement conscience et qui lui a permis de tirer un portrait dont il précise ainsi la teneur: "visible et invisible, compréhensible et incompréhensible, connu et inconnu dès qu’une vérité semblait s’imposer, elle ne pouvait manquer d’être aussitôt contredite par son inverse qu’elle paraissait porter en elle depuis l’origine."
L’écriture a débuté en 2007 et a été interrompue par le tournage de L' Heure d'été, le précédent film d'Assayas. Ce n’est finalement qu’à la fin de l’été 2008 que le scénario a été disponible dans sa version définitive. La préparation, qui a débuté à l’automne de cette même année, a été selon les propres mots du réalisateur, "difficile, chaotique, minée par les difficultés constantes du financement, la défection de partenaires, les incertitudes quant à la conception, y compris géographique". La difficulté a été due au fait que le tournage se situait dans une dizaine de pays et d’innombrables décors et mettait en jeu plus de cent vingt comédiens dans plus de sept langues: "Jamais aucun d’entre nous ne s’était confronté à un canevas d’une pareille complexité", confesse le réalisateur.
Après de longs repérages au Maroc, c’est finalement au Liban que les nombreuses séquences du Moyen-Orient ont été tournées. Cette décision a présenté plusieurs avantages, notamment pratiques, comme l'explique Assayas : "Admettons que le Liban avait sur le Maroc cet avantage de se situer dans la zone géographique des activités de Carlos : plus facile pour les décors, pour les accessoires, mais aussi pour le casting de nos interprètes…" Mais cela a entrainé aussi quelques inconvénients dus au "au manque d’infrastructures", nécessitant une imagination permanente pour résoudre les situations critiques. Certaines situations imprévues ont ainsi pu être utilisées avec brio : "L’aéroport de Beyrouth nous prêtait ses pistes et, par chance, l’un des derniers DC-9 en activité (l’avion de la prise d’otages de Vienne) se trouvait faire la liaison hasardeuse Kiev-Beyrouth, nous pouvions en disposer entre ses rotations. Tant mieux : ailleurs, nous ne l’aurions sans doute pas trouvé."
Édgar Ramírez, repéré sur le tournage de Domino, a été choisi par Olivier Assayas qui lui a alors envoyé le scénario avant de le rencontrer à Paris. Pour l'interprète, jouer avec le réalisateur de Clean était une opportunité excitante, lui qui avoue être admiratif de ce film. A la question de la difficulté de jouer un personnage si controversé, il répond : "J’aime les rôles qui me permettent de remettre en question mes propres valeurs et de mieux appréhender les paradoxes de la nature humaine." Alors qu'une rencontre avait été initialement prévue avec le vrai, cela n'a finalement pas pu se faire pour des raisons logistiques et juridiques.
A la question des différences principales entre les deux formats, et des justifications qui les accompagnent, voilà les précisions du réalisateur : "L’arc du récit est le même, les principaux enjeux sont respectés, les scènes-clé sont là, ne manquent que les complexités, les digressions, qu’un format entièrement ouvert seul permet." Assayas indique également que le film a toujours été prévu pour être vu sur grand écran et que ce format représente "tout simplement une autre déclinaison, vitale, indispensable, sans laquelle l’identité du projet, sa vérité, n’aurait pu se révéler (...) ce format [cinéma] fait partie de son code génétique; il n'est ni une réduction ni une adaptation."
Au delà des difficultés présentes avec les lieux de tournage, les nombreux acteurs ont également été source de diverses complications, et ce, pour des raisons assez diverses. Il y a d'abord eu l’un des interprètes syriens qui a pris peur en raison de la teneur politique du film, et a donné plus tard un entretien '"pour déclarer que s’il renonçait à la “reconnaissance internationale” que sa participation à Carlos lui aurait valu, c’est qu’il ne voulait pas être associé à un projet anti-syrien…" informe le réalisateur. De ce fait il mettait "en grave danger" les "autres comédiens établis à Damas" et quand un acteur soudanais rencontré en Syrie a répercuté à Khartoum ses propos, les Soudanais se sont, à leur tour, défilés. "Résultat, à la veille de tourner leurs séquences, nous n’avions plus le moindre interprète soudanais. Eriq Ebouaney , contacté la veille à Paris, a eu juste le temps de sauter dans un avion." Quant aux autres rôles, ils ont ainsi dû piocher parmi les figurants de la communauté soudanaise du Liban. Mais c’est apparemment le gynécologue qui "a donné le plus de fil à retordre" : "Le matin du tournage, nous ne l’avions pas, c’est notre costumière libanaise qui a suggéré son dentiste, recruté aussitôt; par chance il s’est révélé excellent! ", raconte Olivier Assayas.
A la base de ce projet fou, il y a une confiance totale des producteurs envers le réalisateur. Ce dernier en est conscient : "Je veux rendre hommage à Fabrice de la Patellière, le directeur de la fiction à Canal Plus, qui nous a encouragés quand nous avons commencé à comprendre combien ce projet était hors norme, extravagant, impossible; il a cru dans ce projet, avec une conviction qui est sans doute la raison pour laquelle, contre vents et marées, (...) j’ai eu le sentiment qu’il valait la peine de persévérer dans cette aventure." Il avoue même avoir été surpris de cet engagement total qui lui laissait les mains libres, chose rare surtout pour un film si ambitieux.