Tout juste un an après la sortie de son survolté Birdman le réalisateur mexicain le plus hype d’Hollywood Alejandro González Iñárritu revient avec un projet prometteur et démesuré, des coulisses aux grands espaces, emportant dans ses valises un casting incluant les valeurs sures (Leonardo DiCaprio, Tom Hardy) et montantes (Domhnall Gleeson, Will Poulter) du cinéma US. Les bandes annonces nous vendaient un film brut et esthétisé, sorte de croisade sauvage et sensorielle dans les steppes originelles de l’Amérique profonde, le long parcours d’un homme laissé pour mort par ses comparses trappeurs suite à l’attaque d’un grizzly, une histoire de vengeance viscérale et mystique librement inspirée des péripéties de Hugo Glass, déjà adaptée à l’écran en 1971 par Richard C. Sarafian avec Le Convoi Sauvage.
Depuis son précédent film on connait désormais l’ambition de Iñárritu pour filmer l’infilmable, de sortir des sentiers battus de la standardisation des productions, laissant loin derrière lui l’idée de s’assoupir entre les quatre murs d’un studio, le principe étant de nous emporter dans des décors en dur pour une expédition qui restera sans doute gravée dans la mémoire du réalisateur et de son équipe de tournage comme en leur temps des Coppola ou Herzog s’y sont rongé les ongles. Qu’à cela ne tienne, c’est aussi ça qu’on veut, une expérience au plus près des éléments et de leur animosité, vivre quelque chose, s’émanciper des codes calibrés désormais par divers fonds verts, pas de factice, que du factuel. Et c’est cet aspect naturaliste qui frappe d’entrée, avec un petit côté Terrence Malick pour figer en quelque sorte le degré spirituel qui en découle, laisser couler l’eau de cette paisible rivière pour introduire ses protagonistes, le calme avant la tempête, puis les flèches sifflantes des autochtones Arikaras viennent troubler l’entreprise de cette bande de trappeurs, la réalisation régale complètement avec des plans séquences juste exceptionnels pour nous immerger au cœur de cette bataille sauvage, ça m’a d’ailleurs rappelé l’introduction de Il faut sauver le Soldat Ryan de Spielberg, littéralement plongé dans l’horreur.
Le récit prend soin de présenter ses enjeux, surtout en ce qui concerne l’inimitié entre les personnages de Glass (DiCaprio) et Fitzgerald (Hardy), on comprend cette dualité idéologique entre d’un côté le suiveur-guide philanthrope et de l’autre le dominant cupide, c’est déjà synonyme d’un rapport de force qui ne demande qu’à exploser, mais c’est ce grizzly sorti de l’enfer vert qui tranchera. Alors évidemment l’ours numérique on le remarque, ça mise sur le spectaculaire, mais Iñárritu pouvait-il en faire autrement ? Impossible vu sa mise en scène atypique, jouer des champs-contrechamps avec un animal réel n’était pas pensable, donc oui c’est assez criard au début mais la brutalité en temps réel et quelques choix de cadres font que ça fonctionne, DiCaprio donne de lui pour rendre la séquence très crue et oppressante. S’en suit cette machination machiavélique de Fitzgerald pour se débarrasser de l’obstacle que représente ce corps scarifié retenant son dernier souffle, obnubilé par l’or promis pour sa garde jusqu’à trépas, nous avons donc clairement identifié le méchant de l’histoire, si ce n’était pas déjà fait, la cruauté explicitée se suffit à elle même.
Vient alors ce retour à la vie de Glass, poussé par son instinct de survie et son désir de vengeance, la mise en scène va bien insister sur l’aspect vital, DiCaprio va ramper de tout son long en bavant et serrant des dents, quitte même à apporter des longueurs apparentes, mais ça ne m’a pas gêné dans le sens ou ça reste une vraie lutte face aux éléments, on le voit souffrir, peiner à se tenir debout malgré la douleur, c’est communicatif, j’ai aimé suivre sa randonnée éprouvante. C’est parfois même frigorifique, d’ailleurs il y a un réel investissement de l’acteur, notamment pour cette scène dans les torrents gelés où il réalise lui même la cascade, tout comme bouffer des poissons crus ou autres foies de bison (faux ou non on y croit), c’est du Bear Grylls, et quand on connait le sens de l’acteur studio de Léo possible qu’il ai tout donné pour le film et son réalisme (?). D’ailleurs le rythme volontairement lancinant saupoudré d’impacts choc fait que cette croisade tient sur des rails pour le spectateur ayant validé le ton de Iñárritu, surtout par l’image qui sait se placer à l’échelle humaine face à la grandiosité des décors, c’est d’ailleurs je pense la grande qualité du film : placer l’homme face à l’immensité de la nature, de sa confrontation, jusqu’à sa propre nature humaine.
Après il y a des choses qui me posent problème, notamment tout ce qui tourne autour de la réminiscence de Glass envers sa femme, je trouve que ça manque un peu de substance pour vraiment impacter sur nos émotions, jouer le symbolisme quasi religieux n’était pas véritablement nécessaire, ça en devient excluant, tout comme la relation avec son fils qui je trouve est quelque peu tronquée par l’absence de moments pré-déterminants. De même pour certaines ellipses temporelles franchement tirées par les cheveux, surtout dans la dernière partie, on nous vend des espaces insondables mais ça se résume à des retrouvailles fortuites, c’est fort du café, tout comme une astuce scénaristique pour le duel final que je trouve vraiment limite. Enfin on a du sanglant et de la mise en scène, ça reste toujours prenant, mais l’analogie divine de la rédemption est un peu basse du front, limite expédiée avec une facilité presque gênante, je trouve que Iñárritu manque pour le coup de subtilité pour avancer une vengeance froide et sous calculée. Qu’importe la nature de cette rédemption, elle semble user les sentiments que nous ne pouvons partager tellement ils paraissent lointains, le quatrième mur de glace ne restera que fissuré, appelant le spectateur à rester dans une sorte d’introspection par rapport au message promptement (et assez maladroitement) délivré.
The Revenant n’en reste pas moins un film réussi de par tout ce qu’il tente d’entreprendre : le cadre, le décor, l’investissement, le ton, l’ambiance, etc, la narration est au service des acteurs et inversement, j’ai vraiment apprécié cette idée de nous immerger dans un contexte brut voire hardcore (même si il n’y a pas non plus de flots de sang à outrance), l’expérience cinéma est là, je n’ai pas décroché une seconde malgré les défauts précédemment énoncés, j’ai pris mon pied. Enfin j’ai surtout envie de récompenser la prise de risque et l’ambition de Iñárritu, qui nous aura délivré quelque chose de sensitif et plus ou moins brut, ne serait ce que des décors et une mise en scène profondément époustouflants, le genre de truc que je redemande sans rechigner au cinéma.