The Revenant ? Un voyage abrupt dans l’espace et le temps d’une extravagante beauté . . .
The Revenant : Après Birdman, Iceman ?
Au début du film, trois chasseurs remontent la rivière à contre-courant à la poursuite d’un élan. Cette lente avancée à l’envers dans l’eau omniprésente dans le film et symbole cruel du temps qui passe évoque déjà le retour de nulle part du trappeur miraculé Di Caprio. L’eau qui coule, qui fuite, qui galope, qui tombe, qui sauve est la clé de voûte du film. Que d’eau, que d’eau, que d’ eau aurait dit en autre temps un certain maréchal . . . On est frappé par toute cette glorification de l’eau et de toutes ses représentations : neige, glace, rivière, torrent, etc. Iñárritu joue en permanence avec cet élément majeur de l’ histoire , source de bienfaits ou de malheurs. Le héros est accompagné quasiment tout le film par l’eau, elle le guide littéralement ou l’ entrave, lui permet parfois d’accélérer le temps. Le réalisateur joue aussi avec tous les autres éléments pourvoyeurs de vie ou de mort en leur donnant de puissantes fonctions et une importance capitale dans ces milieux naturels extrêmes : tous ont leur place, même la terre avec la scène de l’ enterrement . Iñárritu grand instrumentaliste de la nature a su utiliser tous les éléments pour transformer son film de façon magistrale en une épopée solennelle et tragique. Le point de chute du film sera d’ailleurs la découverte d’une gourde, contenant de la précieuse eau en ces pays difficiles . . .
Un voyage dans le « paradis » blanc
Si le blanc évoque la dépression comme un psychiatre l’avait dit à Hergé quand il écrivait Tintin au Tibet, avec Iñárritu , on est bien servi, on est en pleine dépression nerveuse mais hébété devant tant de grâce . Les plans sur les paysages enneigés, sur le soleil naissant à travers les arbres, sur la nature sauvage et meurtrière sont souvent à couper le souffle. La caméra tourne à 360 degrés pour balayer l’ espace et nous en mettre plein la vue. Cela donne une impression de cadavre exquis, la beauté extraordinaire d’ une région pourtant inhospitalière et dangereuse, c’est beau à en crever. D’ailleurs souvent, le réalisateur nous montre un paysage sublime de carte postale mais nous dévoile rapidement en contraste le visage ou le corps de Leonardo en pleine déconfiture. Sans arrêt on passe du plan panoramique de l’espace blanc triomphant à un gros plan sur l’ humain en défaite . La Condition Humaine à son paroxysme filmée avec les grands moyens : certains critiques ont trouvé le procédé grandiloquent mais moi je suis fan : dans Birdman, déjà Keaton était filmé à grande échelle lui aussi. Un nouveau et génial Into The Wild peut-être avec des « gros sabots » mais je suis preneur . . .
La mise en scène, avant tout, est hyper poignante : chaque plan, chaque image, chaque teinte , chaque mouvement de caméra est homérique, contrastes intenses, horizons doucereux , jeux de lumières et d’ombres, personnages en approche . Des procédés quelque peu tarantinesques avec le bavardage en moins . . .
Un voyage inexorable dans le temps
Nul ne sait quelle est la durée de la déambulation maudite de ce fichu trappeur . . . Inarritu a fabriqué une semi tragédie classique polaire, on a l’ impression d’ être toujours au même endroit et de piétiner sur place tant les paysages hivernaux même s’ ils sont différents ne nous donnent aucune indication de trajet cohérent. On est perdu avec le héros dans cette immensité glaciale, perdu dans le temps, temps qu’ il reste à faire, à vivre, temps démentiel de la météo. Seules les péripéties et les rencontres avec les autres coupent un peu le rythme de ce lent cheminement voué à l’ impossible. Leonardo maîtrise un peu l’espace parce qu’en temps que trappeur émérite il connaît normalement sa route mais reste tributaire de la dimension temps qui est comme je l’ai dit plus haut figurée à merveille par les représentations diverses de l’eau : torrents déchaînés, fleuves glacés, ruisseaux maigrelets etc etc. D’ailleurs quoi de plus allégorique retrouvé par le trappeur Fitzgerald sur un camp indien dévasté : une montre à gousset ! Le symbole absolu du temps qui passe . . .
Leonardo un oscar de longue haleine ?
Difficile d’ apprécier à sa juste valeur la performance de ce monstre d’acteur dans ce monstre de film. Son jeu se résume pour l’ensemble à des grimaces, des halètements, des têtes de déterré . . . Bien sûr comme d’habitude Leonardo est égal à lui-même ce qui n’est déjà pas mal car il frise souvent la perfection. Je l’avais trouvé ahurissant dans Shuttler Island ou encore méga démoniaque dans Le Loup de Wall Street, disons que dans The Revenant, on ne découvre pas Léo, c’ était un rôle géant écrit sur mesure et peut-être que d’autres pointures auraient rivalisé . Léo mérite largement l’ oscar pour l’ensemble de son œuvre sur les écrans et ce n’est pas ce film qui démontre sa grandeur, le film est juste plus fort que les acteurs qui se fondent dans la masse pour réaliser cette puissante tragédie. Très bon travail aussi de Tom Hardy et du jeune Will Poulter que j’avais vu dans le Labyrinthe . . .
Pour Iñárritu la vie est un voyage initiatique vers la mort
The Revenant démontre que la vie terrestre est très fragile, que la mort est présente et rode en permanence, prête à terrasser les humains au bord de la rupture. Les Esprits de l’au-delà sont plus puissants et apparaissent dans les rêves ou les hallucinations du héros. De part ses origines mexicaines, Iñárritu insuffle au film cette coloration ésotérique des sociétés primitives, notamment les Indiens . La Nature est là mais le surnaturel est plus fort que la Nature. D’ailleurs, à un moment donné, on croit voir Leonardo marcher sur l’eau, comme une autre icône spirituelle plus proche de nos sociétés occidentales. Ce n’est pas un film sur la Vie mais sur la survie, vivre c’est survivre en attendant la mort, vision pessimiste de notre société pourtant matérialiste en vain . . . On est loin des tristes sires de pacotille de Koh Lanta surtout quand on sait que le film est inspiré de faits réels et que l’ histoire réelle de ce trappeur est encore plus surprenante que celle du film . . . Un peu de spiritualité dans ce monde de consommation.
Conclusion
Du grand Iñárritu tout comme Birdman ou encore Babel que j’avais adoré. Une mise en scène grandiose, des moments d’anthologie comme la terrible scène du grizzly, 2h 36 de plaisir visuel, des instants parfois suffocants. A recommander, ma note : 4/5