Risque de spoilers
Curieux cette manie qu'ont les distributeurs français de troquer un titre anglophone pour un autre... The Tall Man c'est vrai que c'est pas très vendeur, ça ne parle à personne en France alors que The Secret, tout le monde sait le traduire. Ainsi avons-nous droit à "The other guys" rebaptisé "Very bad cops" (very bad oblige...), j'en passe et des meilleurs. Bon ça c'était juste pour râler un peu après des types qui ont légèrement tendance à prendre globalement les spectateurs français pour des idiots.
On aura pas mal fustigé ce film pour sa morale ambigu et donc dérangeante. Les bien-pensants se sont empressés de qualifier le nouveau métrage de Laugier comme porteur d'un message nauséabond. Ceux qui auront vus le film dans son intégralité ne peuvent ignorer la teneur du propos du réalisateur. Que l'on acquiesce ou que l'on s'indigne devant le message véhiculé dans le film, on ne peut décemment pas nier ses nombreuses qualités.
Son scénario tout d'abord. Une introduction troublante, une mise en scène inquiétante, une intrigue qui démarre par les disparitions successives de plusieurs têtes blondes dans un bled paumé du fin fond du Nebraska, Cold Rock, une charmante bourgade et ancienne colonie minière, jumelée à Silent hill, voyez le genre. La légende du Grand Homme se propage dans les alentours, et le FBI a dépêché sur les lieux un agent spécial pour seconder un vieux shérif qui piétine sévèrement dans son enquête. Où sont passés les enfants ? Qui a bien pu les enlever ? Et pourquoi ?
Le film s'ouvre sur la voix-off d'une adolescente (aucune surprise sur son identité) qui nous présente sagement le cadre, les lieux, le contexte. Cold Rock est un patelin déserté par l'essentiel de sa population depuis la fermeture de la mine et dont les derniers habitants qui hantent encore les lieux se morfondent dans leur misère sans différencier les jours qui passent. Et puis, il y a ces enfants qui ont tendance à traîner facilement dans les rues, sans surveillance, loin du regard des parents puis à disparaître.
La protagoniste nous est rapidement présentée sous les traits de Jessica Biel. Elle incarne Julia Denning, dernière infirmière de la ville et jeune veuve, qui s'obstine à rester dans ce patelin pour s'occuper de son mieux de ceux qui y sont restés. Réanimer un nouveau-né et tenir tête à des ivrognes semble être son lot quotidien.
Le temps de croiser l'essentiel des autres personnages, de l'agent du FBI blasé au shérif désemparé en passant par cette gamine mutique et portant un trauma qu'elle est dans l'incapacité d'exprimer, et nous nous rendons compte que nous n'avons pas affaire à une troupe de gais-lurons mais bel et bien à des gens qui semblent avoir perdu espoir.
Puis l'héroïne rentre chez elle. Elle crèche dans une imposante baraque isolée en forêt et à distance du patelin. Elle y retrouve une jeune femme dont on ne sait si c'est sa soeur, sa femme, sa cousine ou une simple baby-sitter. Elle retrouve aussi son très jeune fils avec qui elle passe l'essentiel de la soirée à s'amuser. Quand un peu plus tard, après avoir couché le petit, elle noie son chagrin dans l'alcool, elle se rend soudainement compte que quelqu'un s'est introduit dans sa demeure pour lui dérober son enfant. Tenace, elle poursuivra le mystérieux ravisseur dans une course-poursuite éreintante au bout de laquelle le spectateur perdra ses premiers repères.
Le cadre et l'intrigue du film semble tout d'abord pioché dans les thématiques de Stephen King. Celui de Salem's lot ou de Bazaar entre autres. L'élément fantastique en moins. Car de surnaturel dans The Secret, il n'en est pas question. Le film perd tout d'abord son spectateur en le focalisant sur le périple d'un personnage pour ensuite bouleverser sa narration via un premier twist efficace qui bouscule les repères acquis jusque-là par le spectateur. Certains auront bien vu le pot au rose, mais il faut reconnaître à Laugier sa façon remarquable de faire prendre à l'intrigue, en plein milieu de son film, une toute autre direction.
Après ce coup de théâtre, l'histoire prend alors une tournure plus réaliste et plus sombre encore.
Face à l'horreur supposée, les parents deviennent fous de rage et veulent connaître la vérité, tout aussi ignoble soit-elle. Malin, Laugier fait alors prendre à son récit des allures de chronique judiciaire sordide. Là où la première partie du film flirtait avec une ambiance parfois très proche de Silent Hill (la scène de l'usine en est presque un hommage), la seconde se veut être une enquête froide et désespérée. La légende du Tall Man disparaît alors pour mieux resurgir dans son dernier quart, et même si on anticipe facilement les aboutissants de l'intrigue, force est de reconnaître l'originalité du récit et de sa narration.
Côté réalisation, Laugier met en scène son histoire avec un savoir-faire indéniable tant dans les scènes d'actions que dans les séquences plus dramatiques. En outre, il malmène au possible son interprète principale tout le long du métrage et offre de cette façon à Jessica Biel la possibilité d'étonner le spectateur dans un rôle où on ne l'attendait pas. Face à elle, on retrouve avec plaisir le trop rare Stephen McHattie en agent du FBI désabusé.
Quant à la fameuse morale de The Tall Man, Laugier semble bel et bien avoir son opinion sur les actions de certains personnages mais il ne propose en rien un remède à l'enfance sacrifiée. Il prend d'ailleurs à parti le spectateur dans sa dernière image. Libre à chacun de décider ensuite s'il condamne le propos du film ou pas.