Au risque de se répéter, on doit admettre que depuis une bonne dizaine d'années le cinéma de genre espagnol qu'il soit policier, horrifique ou fantastique avec des cinéastes comme Alejandro Amenabar, Jaume Balaguero, Paco Plaza, Alex de la Iglesias, Alberto Rodriguez ou Enrique Urbizu tient le haut du pavé en Europe. Enrique Urbizu déjà remarqué avec le très efficace revenge movie "Box 507" (2002), Grand prix du festival de Cognac 2003, revient en force dix ans plus tard avec un film noir de toute beauté multi-récompensé aux Goyas 2012 (équivalent espagnol des Césars) qui tel Sidney Lumet avec "The Offence" (1972) nous confronte sans ménagement à la dérive morbide d'un flic en perte complète de repères. José Coronado, acteur protéiforme très reconnu dans son pays, est proprement saisissant, dégageant la même force brute teintée d'une douleur insondable que Sean Connery dans le film de Lumet cité plus haut. Si le grand réalisateur américain nous donnait quelques indices pour expliquer le cheminement mental de l'inspecteur anglais en proie à des visions cauchemardesques le conduisant à une violence incontrôlée, Urbizu ne délivrera rien du parcours de l'inspecteur Santos Trinidad hormis quelques vagues allusions à un passage mouvementé dans une ambassade de Colombie ayant coûté la vie à un de ses collègues. Ainsi libre cours est donné à notre imagination troublée par le comportement de psychopathe de ce flic qui semble agir impunément dans le Madrid underground de la nuit, trop initié au maquillage des preuves pour se faire prendre et encore moins se faire suspecter. A ce titre, l'incipit de ce film poisseux et captivant est proprement glaçant à l'identique de l'ouverture de 'The Offence" dont la parenté avec le film d'Urbizu va décidément bien au-delà d'une similitude d'ensemble.
C'est un témoin gênant d'un forfait sanglant et gratuit de Trinidad qui va déclencher une double chasse à l'homme. Trinidad tout d'abord à la recherche de celui qui pourrait le dénoncer, la juge Chacon (Helena Miquel) ensuite, enquêtant sur le massacre perpétré dans un bar à filles. Le jeu du chat à la souris se met alors en place, Trinidad ayant toujours un coup d'avance avec ses méthodes peu orthodoxes face à la jeune juge un peu rigide agissant selon les dogmes établis de son métier
. Tout est parfaitement ficelé par un Urbizu en totale maîtrise, œuvrant de concert au scénario avec Michel Gazlambide son comparse habituel d'écriture. Elargissant son propos au-delà du simple fait divers sordide, les deux auteurs nous immiscent insidieusement dans les liens complexes qui unissent le milieu de la drogue avec celui du terrorisme djihadiste en nous rappelant les affreux attentats de 2004 qui endeuillèrent Madrid touchée en plein cœur à la gare centrale d'Atocha, plusieurs fois montrée dans le film. Comme chez Lumet cet inspecteur peu fréquentable dont on ne sait rien, symbole des ravages possibles de la trop longue fréquentation des crimes et de leur auteurs,
aura droit à sa rédemption ultime
. Urbizu a décidément tout retenu des codes établis par les grands réalisateurs de polars américains des années 70 et 80 pour livrer un film de très haute tenue qui répétons le doit beaucoup à son acteur principal, digne successeur des Sean Connery et Gene Hackman des grandes années.