Extraordinaire chef d'oeuvre, hein ? Et bien non. Extraordinaire imposture oui. Pour vous, leçon numéro 1 de comment changer un film en chef d'oeuvre :
1 - Un réalisateur et un scénariste de légende
2 - Des acteurs immortels
3 - Une touche de poésie nunuche
4 - Un sujet dont on se remémorera facilement
5 - Une histoire intéressante autour du film, avec son grand contexte (tourné dans le Paris de l'occupation allemande) et son succès énorme à sa sortie
6 - 3 heures de durée pour en accroitre l'ampleur, du moins dans l'impression. ***Sur le papier c'est appâtant, mais formellement ça donne quoi ? Une arnaque habile, un vrai faux chef d'oeuvre.
Le film est chiant. C'est un mot vernaculaire et simple, mais pas indigent. Le film écrase littéralement par son ennui, la difficulté de comprendre tant dans les messages, l'histoire et les émotions (!) à cause de la distance de l'oeuvre du spectateur. Le visuel tant vanté du film ajoute en fait une sorte de sensation d'étouffement. Pas que je sois anti vieille mise en scène, mais celle-là, bien loin de la fluidité de Lang et Ford, est difficile pour les yeux par ses déplacements imprécis et ses cadrages inconfortables (si ma mémoire est bonne, car ça fait quelques années) ; pas que je sois anti-noir et blanc, mais celui là est si sombre, si cotonneux et la pellicule dégradée par le temps charge l'image de tant de pointillés parasites que j'ai eu le malaise en moins d'une demi-heure.
Bon, après tout ce que vous voulez c'est une belle histoire ? Histoire j'admets, mais belle ? Je ne sais pas pour vous, mais je connais peu de personnes -et j'ajoute que je ne fréquente pas des beaufs- qui pleureraient aujourd'hui devant une relation "poétique" ou les deux amoureux ne s'embrassent pas, ne s'approchent pas, restent à discuter et se dire des jolies mots, ne sont jamais directs, ne s'embrassent pas... Belle histoire de femme partagée entre deux hommes qui se la disputent, mais elle ne se partage pas entre eux, ne consomme pas. Pour un feu amoureux, c'est aussi torride qu'un bain Norvégien. Les larmes arrivent quand même - celles de la frustration de ne pas voir cette histoire aboutir et ne pas s'identifier à ces personnages distants.
Alors me direz vous, il reste des acteurs mythiques ? Acteurs, peut être, mais interprétations ? Ici l'arnaque est aussi vicieuse que la prétention. L'épatant Pierre Brasseur ? Théâtral, certes, mais pourquoi semble t'il si statique, si incapable d'émettre une étincelle malgré ses beaux sourires et ses répliques cucul rendues agaçantes par un dur accent ? La divine Arletty alors ? Pour ceux qui pensent que le plus effroyable des accents parigos de la très vieille époque est le signe d'un talent d'acteur, ou qui trouvent que ce sont les dialogues de Prévert qu'elle récite d'une façon répétitive qui font la force de l'acteur, et pas ce que l'acteur fait de ces textes, peut être. Jean Louis Barrault, inoubliable ? Dans le sens où il est le plus attachant de cette galerie inquiétante, le plus vivant, peut être ; quoiqu'il ne diffère pas beaucoup d'eux, son humanité est agrandie chez lui par ses masques au nez disproportionné et ses costumes ridicules, apportent un peu de folie à cet objet antipathique qu'est le film.
Bref, tout est mémorable, tous les ingrédients pour un des chefs d'oeuvre du 20eme siècle sont là, mais les prétendus cinéphiles n'ont pas oublié que les meilleurs ingrédients ne forment pas la meilleure recette, c'est l'alchimie qui détermine ? Un film poétique certes, totalement même, un film audacieux et unique qui s'assume oui, mais cela ne lui concède hélas (presque) aucune qualité.