LES ENFANTS DU PARADIS « chef-d’œuvre indéboulonnable », cette « Joconde » ces « Misérables » du cinéma… qui sacralisent LES ENFANTS DU PARADIS : quel autre film a été l’objet d’une expo pour lui tout seul à la Cinémathèque de Paris ?
Compte tenu des difficultés liées à l’époque du tournage, de l’implication de certains membres de l’équipe du film dans la résistance ou la collaboration, le film bénéficie d’une aura exceptionnelle, il a eu un gros succès, et sa restauration numérique est largement justifiée.
Ce film figure dans la plupart des listes de meilleurs films de France, de tous les temps, du siècle, du monde, et j’en passe sûrement. J’aimerais pouvoir gommer Ce film de certaines listes pour faire la place à d’autres : il y a dans la production actuelle des « graines de chef-d’œuvres » qui, compte tenu du mode de distribution actuel et des médias moutonniers, passent inaperçus ou ne passent pas du tout, (là je pense à –par exemple- Dans la brume de Sergei Loznitsa).
Si LES ENFANTS DU PARADIS était un film traité comme les autres et si (niaise utopie) tous les films étaient traités avec le même égard, je n’éprouverai pas le besoin de donner mon point de vue.
Tout est trop parfait dans ce « monument du réalisme poétique » : Prévert en premier, les actrices et acteurs qui jouent tellement bien que l’on se croirait au théâtre, les décors superbes toujours éclairés plein pot de peur que l’on ne les voit pas, la musique de Kosma dirigée par Charles Münch comme un vrai concert. Tout est parfait pour ce film au tournage difficile compte tenu de l’époque.
Pourtant, si la perfection est louable lorsque l’on fait refaire sa cuisine ou son salon, ce n’est pas suffisant pour crier au chef-d’œuvre dans le cas d’un film : la réalisation est très soignée, la fluidité entre les scènes est parfaite, mais il manque au film le grain de génie qui n’est pas compatible avec une perfection académique.
Un « chef-d’œuvre », ce n’est pas une addition de talents, mais une osmose entre des talents avec le petit je ne sais quoi de plus : le génie.
Qui est le vrai auteur des ENFANTS DU PARADIS, Carné ou Prévert ? Face à l’artisanat plus que parfait (donc un tantinet conventionnel) de Carné, c’est Prévert qui sort gagnant ; mais ce n’est pas une coopération entre les deux ou l’on se disputerait pour savoir ce qui est de l’un ou de l’autre ; le dialogue de Prévert est écrasant, ce n’est plus un film, c’est une récitation, un florilège de jolies phrases et de bons mots ; si bien que LES ENFANTS DU PARADIS est plus un film à « écouter » qu’à « regarder », et l’on ressent la jubilation qu’ont eus les acteurs à réciter plus que jouer. Il est courant de qualifier le film de « réalisme poétique » : pourquoi je n’adhère pas à ces brillants et littéraires dialogues déclamés sur le boulevard du Temple à Paris, alors que j’ai la larme à l’oeil devant les manifestants qui chantent chez Jacques Demy dans UNE CHAMBRE EN VILLE ? Parce que chez Demy il y a une magie, un bouchon poussé un peu trop loin que l’on accepte ou récuse. Réalisme poétique, si tant est que cela existe, c’est plus chez Demy que chez Carné qu’il se trouve.
A la vue du film, à l’écoute surtout, je présume que lorsque Prévert avait un crayon en main il était difficile de l’arrêter…. et que ce n’est pas Carné qui a cherché à l’arrêter. Les moments de mime du Théâtre du Funambule sont bienvenus : Prévert-dialoguiste avait comme le spectateur besoin d’un peu de repos et le cinéma n’est pas la littérature et n’a pas toujours besoin du texte.
On retrouve le même problème avec des films tels que LES TONTONS FLINGUEURS, avec les dialogues d’Audiard : mais (sauf dans des listes qui restent personnelles) il ne figure pas dans les anales des meilleurs films de l’histoire. La liste des meilleurs films de tous les temps, je peux faire la mienne, vous pouvez faire la vôtre, mais la mienne ou la votre ne sera pas gravée dans le marbre pour l’éternité !