‘Blonde’ est un film conçu pour diviser, et il est parfaitement arrivé à ses fins. Contrairement au ‘My week with Marilyn’ de Simon Curtis qui se basait sur une courte période temporelle pour tenter de percer le mystère Marilyn, ‘Blonde’ est un biographie intégrale, de l’enfance au décès, mais qui fonctionne par instantanés parfois séparés de plusieurs années, créant une sorte de labyrinthe intérieur dans lequel réalité et fiction, sensations et fantasmes, se superposent. D’aucuns lui ont reproché de salir l'icône, ici représentée abrutie par l’alcool, vomissant ses excès médicamenteux ou pratiquant une fellation sur le président Kennedy. Le problème tient moins à la crudité de ces représentations qu’au fait que de nombreux éléments sont basés sur des spéculations, qui pourraient très bien s’avérer exactes mais pour lesquelles il n’existe aucune certitude objective. Les avortements secrets de l’actrice, le fait qu’elle ait été violée par les producteurs qui lui avaient offert ses premiers rôles ne sont en rien impossibles mais ni le film d’Andrew Dominik ni le roman de Joyce Carol Oates dont il est tiré ne prétendent faire oeuvre biographique mais plutôt explorer librement la personnalité et la vie intérieure de l’actrice. Au passage, il est difficile d’ignorer le fait que que si l’incarnation totale d’une personnalité n’est pas rare au sein du cinéma américain, Ana de Armas réalise ici un numéro de haute volée, s’appropriant de manière troublante les moindre particularités, de la voix à la démarche, d’une célébrité d’autant plus dure à imiter que son moindre battement de cils était scruté et décortiqué et l’est toujours aujourd’hui à soixante ans de distance. Si ‘Blonde choisit ouvertement d’être sensoriel plutôt que narratif et toute liberté d’auteur mise à part, j’ai été personnellement un peu déçu que le scénario explique la totalité du phénomène Marilyn par la recherche d’un modèle paternel tout au long de sa vie et par la nécessité de créer cet avatar platine qui récolterait en son nom l’amour éternellement refusé à Norma Jean. La répétition de ce mécanisme, qui donne l’impression que le film hoquète, prive le scénario d’explorer d’autres pistes intéressantes, comme les relations paternalistes ou ouvertement misogynes qui étaient la norme dans l’industrie des années 50 et qui jouèrent sans doute un grand rôle dans la frustration de l’actrice, ce qui la poussa à abuser de l’alcool et des barbituriques : les tournages de Howard Hawks ou de Billy Wilder ne sont ici qu'entreaperçus. De toute façon, il est clair que les partis-pris esthétiques, des plus attendus aux plus radicaux, et les raccourcis narratifs envisagés par le réalisateur ne peuvent convaincre tout le monde tout le temps. On ne s’en plaindra pas vu le conformisme paresseux qui affligent tant de biopics…et puis, à l’opposé des quelques éléments qui m’ont moyennement convaincu, il y en a d’autres que j’ai trouvé stupéfiants et qui font de ‘Blonde’ la tentative biographique la plus audacieuse et la plus “arty” (qu’on considère ce qualificatif comme admiratif ou dédaigneux, il faut reconnaître que le film est autrement plus sophistiqué que ses congénères) depuis le ‘“I’m not there” de Todd Haynes : la relation de plus en plus trouble de l’actrice avec son métier, alors qu’elle commence à soupçonner que les films de Marilyn ne font qu’exploiter les tourments de Norma Jean sans rien lui donner en échange, l’emballement du succès qui se traduit par un montage rapide et haché et donne l’impression que Marilyn/Norma Jean n’a jamais le temps de se poser ou de reprendre son souffle, tandis que la perte de plus en plus dramatique de ses repères spatiaux et temporels n’a rien à envier à un de ces cauchemars mentaux concoctés par David Lynch !