De « L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » à « Cogan : Killing Them Softly », Andrew Dominik laisse Brad Pitt derrière lui et tous les méchants garçons qui l’accompagnaient, pour s’attaquer au destin tragique d’une muse de l’industrie cinématographique hollywoodienne, responsable de la naissance et du décès d’une star. De Venise à Netflix, l’adaptation du roman éponyme de Joyce Carol Oates nous invite sciemment à projeter notre vision, sur cette idole et cet idéal féminin, dont on croirait sorti d’un conte de fées, où les sorcières seraient remplacées en masse par des hommes-ogres, affamé par leur virilité et le patriarcat, qui ont régné autour des années 50 et qui ont déjà une nette amélioration de nos jours, du moins, sur la scène du spectacle.
On ouvre sans attendre avec la principale intéressée, dans une enfance rude, où une jeune fille est en opposition à sa mère Gladys (Julianne Nicholson), rongée par la démence, un amour brisé et une maternité imposée. Ne connaissant que les traits du visage de son père biologique, Norma Jeane grandit seule, dans un monde d’hommes et de regards d’hommes. Sa vie d’adulte devient alors une illusion, où les portraits de comédiens finissent par orienter son désir et par façonner le personnage de Marilyn Monroe. La bimbo des magazines reflète ainsi l’état d’esprit d’une misogynie omniprésente, où Ana de Armas compose magnifiquement avec l’innocence, puis la violence d’un milieu, où le profit et l’intimité de Marilyn se confondent. La comédienne cubaine colle parfaitement à la peau du sex-symbol, fantasmé et désiré par une audience, qui souhaite s’arracher un morceau. Le cinéaste néo-zélandais ne lésine donc pas sur la violence ou des scènes de sexes sulfureuses pour explorer la psyché d’une femme, au destin tragique et dont la luxure est un moteur sous l’emprise d’hommes, amoureux du corps de cette dernière.
Le cauchemar se remplit d’hallucinations et met en avant les transitions, qui heurtent brutalement l’héroïne, constamment entre le noir et le blanc, et dans l’attente d’un père inconnu. Plusieurs points notables constituent cependant des tournants dans sa vie, notamment en amont du tournage des « Hommes préfèrent les blondes ». Ainsi de suite, le réalisateur va continuer de sonder son identité en tant que personnage de sa propre notoriété, ainsi que son identité en tant que femme sur la scène, autant publique que privée. Dominik l’a largement prouvé avec Jesse James, en démantelant le portrait du bandit au sein d’un groupe et d’une famille, en y insérant de remarquables envolées lyriques. Ici, l’héroïne est seule, face à sa célébrité, face à ses fans et à ses collaborateurs, qui abusent autant de son corps que de son esprit, déjà meurtris et mutilés par la séparation d’êtres qu’elle ne pouvait qu’aimer. Cela se ressent davantage, en reconstituant des scènes cultes, dont on viendra dévitaliser de leur usage, au détriment de la pertinence d’un discours, qui concorde avec la lente et longue dérive de Norma Jeane et de sa némésis.
Marilyn se trouve alors comparée aux chutes du Niagara, un flot ininterrompu de spectacle, mais également de douleur, pourtant lisible sur son regard apeuré, mais qu’aucun homme n’a l’audace, ni la décence de la délivrer (Bobby Cannavale, Adrien Brody). Une étape la rapproche pourtant des enfants de Charlie Chaplin, où ils s’accordent sur leur condition maudite, des indésirables pour leurs géniteurs. Et c’est en cela que l’intrigue ne perd pas pied, car la même histoire continue de hanter les fantasmes sur la personnalité que cachait cette célébrité, qui se démenait simplement pour trouver sa place, en jonglant entre deux réalités bouleversantes. Et final, nous constaterons qu’il ne s’agissait qu’une d’autre qu’une « Blonde » parmi les autres, portant ainsi la tonalité dramatique à son paroxysme.