Il y a tant de choses à dire sur ce film que je ne sais trop par où commencer. Ce que je peux dire à l’occasion de ma millième, c’est que le titre, par son orthographe et sa calligraphie particulières, ne m’avaient pas donné envie d’aller le voir. Pas plus que l’affiche d’ailleurs (que je trouve après coup remarquable par sa structure). Bon c’est vrai que je ne m’étais intéressé ni au pitch, ni à la bande-annonce. Mais en dépit de sa présentation peu avenante, ça ne l’a pas empêché de totaliser plus de 2 millions d’entrées. Heureusement, Arte a eu la bonne idée de l’intégrer à son programme un mercredi, un jour pour ainsi dire désert question cinéma sur toutes les chaînes de la TNT. C’est donc par défaut que je me suis rabattu dessus. Quelle fut ma surprise ! Oh la claque ! A présent je comprends pourquoi le long métrage de Maïwenn a eu un très beau succès commercial. Oh rien de spectaculaire, les films français le sont rarement. Mais il est d’une authenticité… une authenticité rare ! Comment ressortir indemne de ce film ? J’ai beau me poser la question dans tous les sens, je ne pense pas que ce soit possible. Tant mieux d’ailleurs. Parce que ce film est un film engagé. Un film qui parle de choses vraies. Un film qui s’inspire d’affaires réelles. Un film qui dénonce un certain nombre de choses. Tout simplement parce qu’il parle de choses graves, malheureusement courantes. Mais comment dénoncer tout en restant politiquement correct ? Réponse : en donnant au film un aspect documentaire. Le pari est gagnant. Ce n’était pourtant pas facile de se positionner en simple observateur, surtout quand le sujet tient autant à cœur ! Non seulement la réalisatrice est parvenue à parler d’un sujet qui fâche, mais en plus elle égratigne le fonctionnement de l’administration, comme si elle appelait tout le monde à une prise de conscience. Pour ce faire, Maïwenn nous propose une véritable immersion dans la brigade des mineurs de Paris. Le synopsis présenté par Allociné est éloquent. Encore faut-il que le tout sonne vrai. La facilité (somme toute casse-gueule) aurait été de prendre les véritables acteurs des différentes affaires réelles, c’est-à-dire de vrais flics. Après tout, qui mieux qu’eux pouvaient en parler ? Eh bien non. Que des acteurs professionnels. Et Maïwenn s’est donné les moyens : un topo du profil psychologique pour chacun des protagonistes, et un stage d’une semaine pour apprendre à être flic et à être le plus proche de la réalité, que ce soit dans le cadre du boulot ou celui de l’intimité. Et ça a fonctionné. Et si ça a fonctionné, c’est parce qu’on a l’impression que chaque acteur ne joue pas mais EST son personnage : on les sent tous hyper concernés, impliqués comme jamais, comme si d’un commun accord ils disaient « maintenant ça suffit ! stop ! ». Dans l’énergie qu’ils y mettent, quelques comédiens sont particulièrement convaincants. Je vais citer par exemple Frédéric Pierrot, qui, à travers le commandant Yvan Gérard dit « Balloo », va pousser une gueulante auprès de sa hiérarchie. Je ne vous dirai pas pourquoi, mais entre nous, il y a de quoi. Je vais citer également Marina Foïs, à travers Iris rongée par une rage sourde dont je vous laisse le soin de découvrir l’origine et ses conséquences. Mais je veux d’abord parler en tout premier lieu de Karin Viard et de JoeyStarr : à tour de rôle, ils crèvent littéralement l’écran ! Ma plus grande surprise porte cependant sur le rappeur, connaissant déjà le talent de Karin. Pour moi, en regard de ses nombreux démêlés avec la justice par le passé, il bénéficie d’un rôle à contre-emploi. Mais si encore cela ne s’arrêtait qu’à son rôle de flic… non, loin de là : il bénéficie de dialogues aux propos justes, que le spectateur ne peut qu’approuver, notamment quand son personnage Fred remet en cause la véracité du reportage photo. Et si seulement ça ne s’arrêtait qu’à ça… Sa première banderille intervient très tôt, alors qu’il conduit une adolescente particulièrement rebelle par son manque visible de repères, ce qui la propulse au rang de graine de racaille. D’autres moments marquants suivront, comme son intervention dans le bureau de Beauchard (Wladimir Yordanoff). Le plus beau de ces moments, parce qu’aussi le plus émouvant, est la scène où il tente de consoler comme il peut un petit enfant, ce petit enfant noir qui mériterait d’avoir une mention spéciale pour avoir su si bien retranscrire le déchirement auquel il est confronté. Tout cela pour dire que JoeyStarr m’a très agréablement surpris. Mieux : il m'a ébloui, laissé sans voix ! J’ai beau ne pas aimer le gars, je n’en suis pas moins admiratif, aussi je trouve logique qu’il ait été nominé aux Césars, encore que j’ai du mal à comprendre pourquoi la récompense suprême ne lui a pas été décernée. On retiendra aussi cette pléiade de petites apparitions, simplement parce que la plupart interpellent. Parmi les plus choquantes, Audrey Lamy, loin, loin très loin de ses nombreux rôles de femme à la psychologie décérébrée et au comportement hystérique quasi permanent qu'on lui connait la plupart du temps. Dans ce rôle de femme qui fait ce qu’elle peut (façon de parler hein), elle est d’une justesse ! Son étonnement quant à la qualification de ses actes semble bien réel ! Je pense aussi à la femme toxico, dont l’événement qui marque la fin de sa cavale ne manque pas de plonger le spectateur dans un violent effroi. Le plus fort est que les acteurs quels qu’ils soient évoluent sans tenir compte de la caméra, comme s’ils étaient dans leur milieu naturel. Et pourtant, la caméra était bien là, même si elle a dû se faire discrète pour mettre en boîte ce qui s’apparente à des plans pris à la volée, renforçant du même coup l’aspect docu-fiction à ce film en apportant des séquences comme si elles avaient été saisies sur le vif. Cette manière de traiter le sujet est justement ce qui rend le discours politiquement correct. Parce qu’il y a des scènes dures, mais il y a aussi des moments qui font sourire. C’est ce qui arrive quand on plonge dans le quotidien des personnes visées, en l’occurrence les agents de la B.P.M. (acronyme de Brigade de Protection des Mineurs), ce qui permet au spectateur de partager avec les protagonistes pas seulement les moments graves, mais aussi des moments heureux et moins heureux. En témoigne la scène où Nadine (Karine Viard) et Iris partagent une table au restau en parlant de leur vie privée avec des mots crus, sans aucune gêne… et curieusement (ah ben il fallait bien que je trouve quelque chose de négatif) sans que ça ne gêne non plus les tables voisines. "Polisse" n’oublie donc pas la vie privée des agents, et démontre à quel point elle est rendue difficile. Certains s’en accommodent tant bien que mal, d’autres ont beaucoup plus de mal. Dans tous les cas, ça permet de démontrer que les tensions, tant professionnelles que privées ne sont souvent pas loin, et qu’il en faut peu pour les faire éclater au grand jour tant elles sont difficiles à gérer. Alors quand ils parviennent à se retrouver tous ensemble pour décompresser
(que ce soit au restau ou en boîte)
, ils se lâchent, embarquant du même coup le spectateur dans cette petite fenêtre de bonheur, cocon salvateur auquel même le plus petit fait scandaleux n’a pas sa place. Oui le spectateur adhère à la cause de ces agents, tout simplement parce qu’on croit sans peine à tous ces personnages, tant les acteurs sont criants de vérité et forment une équipe des plus crédibles, un groupe soudé envers et contre tout malgré les coups de gueule (inévitables, comme dans la vie de couple), au point qu’on croit vraiment que les acteurs forment une équipe formidable depuis déjà de nombreuses années. Ce qui revient à dire que le récit se contente de raconter une triste réalité sans complaisance aucune, tout en mettant le doigt sur les choses à changer. Pour autant, la musique n’a été que peu employée. La plupart des scènes se déroulent sans, ce qui a le don de renforcer l’authenticité. Alors oui, ce film est dur, mais c’est aussi un film utile. Si utile que j’ai bien du mal à saisir la restriction d’âge. D’accord il y a des mots crus. D’accord certains personnages tiennent des propos choquants. Je suis certes pour le choix des mots, mais il y a des fois où il faut savoir appeler un chat un chat ! Préservons nos enfants et n’oublions pas qu’il est de notre devoir de les aider à discerner ce qui est bien et ce qui est mal. Leur naïveté infantile ne les protège pas de tout, loin de là ! Aussi je dis merci à Maïwenn de nous avoir offert ce film coup de poing. Merci à JoeyStarr, Karin Viard, Frédéric Pierrot et Marina Foïs d’y avoir aussi activement participé. Sans oublier tous les autres, bien entendu. Et en plus, il y a de très fortes chances pour que vous engagiez en famille un débat à la fin, loin des classiques « trop bien », « génial », ou « nul » et consorts. "Polisse" : un film qui touche, qui dérange, qui ne laisse pas indifférent. C'est tout.