Il y a des talents qui débarquent comme ça sans crier gare. Qui aurait pu croire que la gamine Maiwenn deviendrait, en à peine 3 films, l’une des réalisatrices les plus douées et les plus respectées du cinéma français ? Avec "Polisse", elle choisit de s’éloigner de ses sujets autobiographiques habituels pour livrer son film le plus ambitieux et le plus abouti, sans jamais renier son style. On retrouve ainsi dans "Polisse" l’amour de la réalisatrice pour ses comédiens, filmés au plus près avec un souci de vérité criant et poussés à l’improvisation, ce goût pour la caméra à l’épaule et la mise en scène façon documentaire de luxe, ainsi que son orientation naturelle à aborder les sujets brûlants. Après les secrets de famille et les actrices, Maiwenn s’attaque à l’enfance maltraitée (un sujet finalement pas si éloigné de "Pardonnez-moi") à travers le quotidien de la Brigade de Protection des Mineurs. Et le premier coup de génie de la réalisatrice réside dans le parti pris de refuser le misérabilisme et le pathos alors que le sujet s’y prêtait tout particulièrement. On assiste donc à des scènes brutes, inspirés de cas réellement traités par la BPM et filmés avec une justesse de ton époustouflante, loin de tout manichéisme. Le film balaie d’ailleurs un spectre de "supposés pédophile" assez large, du père effondré criant son innocence au grand-père avouant à moitié en passant par le prof regrettant sincèrement son geste et le nanti se croyant intouchable, avec des dépositions allégées de tout envolées lyriques (l’absence de musique lors de ses séquences est appréciable). La justesse du ton se retrouve également dans la description du quotidien de la Brigade, et plus précisément dans leur intimité. L’humour invraisemblable dont font preuve ses flics (seul bouclier de protection face aux horreurs qu’ils affrontent chaque jour) est l’occasion de séquences particulièrement drôles (les argumentations très soignées de Gabriel, la mythomanie de Nadine face à ses problèmes de couple, l’hallucinant four rire face à l’ado qui suce pour récupérer son portable…) et de répliques franchement hilarantes, qui auraient pu faire tâche dont un film au sujet aussi grave mais qui s’accordent parfaitement avec le ton réaliste de ce "Polisse". Elles s’accordent même avec les séquences chocs dont on ne peut décemment pas ressortir indemne (telles que l’accouchement d’un bébé mort né suite à un viol ou la séparation entre une mère et son enfant qui hurle son désespoir) et qui illustrent parfaitement les drames épouvantables vécues par la Brigade. Dommage cependant que la 2nde partie du film soit en dessous (les scènes ayant tendance çà se répéter et l’intrigue à s’éparpiller) et que le nombre de protagonistes soient un peu trop important pour leur permettre de bénéficier d’un traitement égal. Si certains personnages sont très clairement mis en avant (Fred, Nadine, Iris et Baloo), d’autres ont visiblement souffert du montage (la flic rebeu Nora, l’évocation soit inutile soit sous-exploitée de l’homosexualité de Sue Ellen, le rôle inutile de Bamako…) ou sont au centre d’une sous-intrigue pas forcément passionnante (l’attirance non-dite entre Kris et Matthieu, le couple formé par Melissa et son mari à l’intérêt discutable…). Idem pour les cameo trop rapidement expédiés pour être appréciés à leur juste valeur (Audrey Lamy, Anthony Delon, Lou Doillon…). Pour compenser ce petit défaut (sans doute due à un excès d’ambition), Maiwenn peut néanmoins compter sur une pléiade d’acteurs exceptionnels offrant le meilleur d’eux-mêmes (comme toujours chez la réalisatrice) parmi lesquels on retiendra surtout Joey Starr en teigne bouleversé par la souffrance des enfants (le rappeur, qu’on n’attendait pas là, peut remercier Maiwenn qui l’a révélé comme acteur de talent), Karine Viard en coéquipière sympa prête à exploser, Marina Fois glaçante en flic anorexique, Jérémie Elkaïm en intello de la bande ainsi que le formidable (et trop rare) Frédéric Pierrot en chef de Brigade. Ovationné à Cannes et sur le point d’être un des grands succès français de l’année, "Polisse" restera surtout comme un film coup de poing qui remue les consciences (et qui changera à jamais votre perception du générique de "L’ile aux Enfants") sans avoir la prétention d’imposer un point de vue. Un grand film quoi !