Le prologue nous montre 2 gamines joueuses et complices : Thérèse, 15 ans, et son amie et voisine Anne, un rien plus jeune, disons 13. Puis les années passent. Six exactement. Thérèse se marie avec le frère d’Anne, Bernard. Changement d’actrices : Anne est incarnée par Anaïs Demoustier, 25 ans aux fraises, mais à qui on veut bien donner l’âge de son rôle. Thérèse, c’est Audrey Tautou, 36 ans cette année. Et là, on a un peu de mal. Le film démarre sur cette sensation foireuse : Audrey Tautou n’est pas le personnage. Du moins pas celui qu’une chronologie pointilleuse avec inscription de dates à l’écran essaie de mettre en place. On craint le pire, on se met à regretter que n’ait pas été gardée la construction en flash-back du roman, comme Franju avait tenu à le faire… Et puis, et puis le cinéma de Miller prend le dessus. Cinéaste comme d’autres sont menuisiers ou ébénistes (j’aime bien cette idée du bois et les analogies qui vont avec : le goût de la matière, le travail de découpe, la précision des assemblages, le soin du polissage..), Claude Miller était un maître-artisan. Thérèse Desqueyroux est le dernier objet à être sorti de son atelier. On attendait l’œuvre ultime, le long-métrage testament. A la place, on a un film modeste et lent, d’un classicisme obstiné. Presque d’un autre temps. Certains ont eu vite fait de coller les étiquettes : "Qualité France" pour les dédaigneux, "France 3 Région" pour les méprisants. C’est ne pas voir les incroyables qualités de cette adaptation. La subtilité qui tient le récit, dessinant à petites touches la complexité et le mystère de son héroïne, et refusant de filmer l’émotion plein cadre. L’audace qu’il y a à vouloir faire la chronique d’un enfermement sans abdiquer la couleur, sans renoncer à photographier une nature lumineuse. Et enfin la bienveillance, oui la bienveillance d’un directeur d’acteurs qui mène ses interprètes à leur meilleur : Audrey Tautou, comme on ne l’a jamais vue, débarrassée enfin de ses affèteries, ses petites moues, sa gouaille facile. Et Gilles Lellouche, comme on ne l’attendait pas, puissant et mutique, obtus et vulnérable. Mauriac peut être content. Deux adaptations, deux versions aussi fidèles que différentes. Et au final, deux grands films.