"There are three ways to make a living in this business : be first, be smarter, or cheat"
C'est sans doute pourquoi le film de J.C. Chandor fait figure de vraie curiosité, et pourquoi un metteur en scène quasi débutant a pu rassembler une équipe aussi impressionnante (quel casting !) pour un film qui reste à petit budget.
Un film dont le scénario (nommé aux Oscars) a l'intelligence de se concentrer à l'extrême, pour mieux nous aider à prendre du recul et voir la "big picture". Unité de temps, unité de lieu : on se contentera donc des 24 heures qui feront la charnière entre plusieurs années de profits astronomiques, et une crise latente qui va tout emporter sur son passage. On sort peu de cet immeuble de bureaux car c'est bien là que tout va se jouer, à bonne distance du "monde réel"
Dès les premières images, on nous offre la vie des affaires américaines dans ce qu'elle a de plus glaçant : un impressionnant entretien de licenciement, qui vient compléter une charrette de départs déjà bien garnie. Le ton est faussement amical, déterminé, définitif. Business is business, malgré le sourire de façade de la responsable RH qui passe dans les couloirs pour taper sur les épaules des condamnés. Le manager fait ses cartons, mais a le temps de transmettre à son junior une analyse des risques explosive. Rapidement, le jeune analyste met en lumière des failles considérables dans l'édifice de la banque, sorte de Titanic financier en plein naufrage.
C'est le point de départ d'une très longue nuit, qui va nous permettre de monter un à un les échelons d'une organisation très pyramidale, où chacun se tourne vers son supérieur jusqu'au dernier barreau de l'échelle. Il est inutile d'être un grand spécialiste de finance et d'économie pour rentrer dans ce "Margin Call", mais posséder des bases solides vous sera quand même d'un grand secours pour situer parfaitement les enjeux, les risques et la gravité de la situation.
En particulier pour parfaitement appréhender cette lente montée en tension qui va amener chacun des maillons de la chaîne face à un choix cornélien. Le petit analyste, le chef de salle, le manager, le directeur des opérations, jusqu'au PDG débarqué de son hélicoptère : on s'arrête sur chaque individu, ses doutes, ses réactions, chacun pouvant symboliser un pan de ce qui ne tourne plus rond dans ce monde de l'argent virtuel, où l'on demande à chacun de jouer sur la corde sensible pour vendre à son voisin un produit financier pourri qui va bientôt exploser.
Mais trois protagonistes en particulier retiennent l'attention. Le chef de salle cynique et détaché (Paul Bettany, très bon), qui connaît les rémunérations de tout le monde, et ne semble rouler que pour lui tout en se donnant bonne conscience, le trader tel qu'on l'imagine. Le manager avec 40 ans de boutique (Kevin Spacey, comme d'habitude parfait), prudent et humain, mais dont la lâcheté semble toujours avoir le dernier mot et qui n'est jamais le rempart moral qu'il devrait être. Et puis ce PDG calme et froid, imperturbable et dangereux (extraordinaire Jeremy Irons), qui décompte comme un métronome toutes les crises financières qui ont secoué le monde depuis trois siècles pour mieux montrer qu'ils survivront à celle-ci aussi.
On en a froid dans le dos, surtout parce que l'on évite avec une habileté surprenante tous les pièces du manichéisme ou de l'analyse de comptoir pour aller vers des portraits fins, nuancés, portés par des acteurs remarquables, qui donnent une vie et une intensité impressionnante à ce film de bureaux. Si la mise en scène de JC.Chandor est parfois un peu sage et un peu lisse, on saura reconnaître au jeune réalisateur son sens du décor et de la lumière, qui donnent une atmosphère si particulière à ce qui devient presque une pièce de théâtre à huis-clos, dans une ambiance feutrée et pas nécessairement clinquante.
Mais le plus terrifiant est que cette histoire, inspirée de faits réels, n'est pas l'histoire d'une faillite, et n'est pas sensée de passer selon le réalisateur-scénariste chez Lehman Brothers, mais bien dans une des banques survivantes, toujours en activité. Le savoir donne au film un relief et une profondeur encore plus marquants, car cela ne fait que donner raison à Jeremy Irons, qui pose la conclusion la plus définitive et la plus cynique entre le fromage et le dessert, réfugié en haut de sa tour d'ivoire : "It's just money"
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