Margin Call est à la fiction ce que Inside Job est au documentaire : un décryptage du krach boursier de 2008, un retour à l'origine de la crise des subprimes. Inside Job offrait une vision extérieure et globale du système ; Margin Call adopte un point de vue intérieur, au sein d'une société boursière, auprès d'hommes et de femmes qui, par leur choix, vont déstabiliser l'économie nationale puis mondiale. Enjeux financiers, cas de conscience, luttes de pouvoir, ce film est un petit drame shakespearien des temps modernes, centré sur la folie du capitalisme. Un drame dense et tendu, tout en violence intériorisée et glacée, qui présente une unité d'action (découverte d'un risque de faillite et mise en place d'un plan de sauvetage), de temps (environ 24 heures) et de lieu (l'essentiel de l'histoire se déroule dans un building new-yorkais). Le scénario est un modèle de crédibilité, d'équilibre et d'intelligence. J. C. Chandor sait visiblement de quoi il parle et développe son récit avec précision et maîtrise, tout en ayant le souci de "déjargonner" pour rendre les choses compréhensibles. Ce n'était pas un exercice facile ; c'est parfaitement réussi. Les thèmes majeurs sont développés avec une réelle sobriété dramatique, sans céder aux sirènes du thriller financier hollywoodien. La valeur de l'argent, l'évolution d'une économie déconnectée de la réalité, les pratiques professionnelles sans morale, sans pitié... Tout cela est évoqué avec une lucidité critique. Pas de cynisme gratuit et facile. Juste l'expression d'une logique financière de profit et de survie, qui parle d'elle-même. Chandor va aussi plus loin que le petit monde boursier pour brosser le tableau du monde du travail aujourd'hui (avec ses licenciements et ses promotions à la minute) et plus largement celui d'une époque (solitude moderne, déshumanisation en marche ; à ce titre, la fin est terrible...). Autre tour de force : faire exister sept ou huit personnages en 1 h 45, grâce à des dialogues incisifs, qui vont à l'essentiel. Côté réalisation, on aurait pu s'attendre à des effets clinquants, puisque Chandor vient de la pub. Mais là encore, la mesure est de bon ton ; l'ensemble est discrètement stylisé, exploitant les intérieurs froids et impersonnels des bureaux, mais aussi les extérieurs nocturnes.
J. C. Chandor signe donc un premier long-métrage étonnant de qualité, pour ne pas dire brillant : plongée captivante dans un univers boursier complexe et peu montré au cinéma, variation moderne sur l'adage "l'homme est un loup pour l'homme". Le réalisateur s'est entouré d'un casting composé d'acteurs sur le retour, de comédiens de séries TV et de jeunes pousses. Hétéroclite, mais absolument convaincant.