Walter Salles a réalisé un formidable premier film, "Central do Brasil". Avec l'excellent "Carnets de voyage", il flirtait déja avec le road movie, les années de formation, les idéaux de jeunesse, toutes choses qu'on trouve aussi, dans une certaine mesure, dans Sur la route. Maintenant, a t-il eu raison de s'y attaquer alors que cela correspond à une génération et une culture qui lui sont complètement étrangères? Ce n'est pas évident. D'autres auraient il pu faire mieux? Peut être. Par exemple un de ces vieux acteurs, un peu en marge, qui tâtent avec bonheur de la réalisation comme Robert Duvall ou Tommy Lee Jones.
Cette fascination de la route, on ne l'éprouve nulle part comme dans l'ouest américain. Sur une route de l'Arizona écrasée de chaleur, toutes fenêtres ouvertes parce ce que la clim ça fait trop nase, devant cette route toute droite qui miroite de soleil, on a une extraordinaire impression d'éternité....
Mais le roman de Kerouac c'est avant tout une histoire de fascination. La fascination de Sal alias Jack Kerouac, (Sam Riley), fils de famille bien pensante de la petite bourgeoisie dont le père vient de disparaître, pour le très beau, très séduisant, très charmant Dean (Garrett Hedlund). Pour Sal, qui veut être écrivain -il ne pense qu'à cela et remplit inlassablement des petits carnets, Dean est le personnage romanesque par excellence. Plus ou moins bigame, il ne connaît pas de limites, pas de frontières. Il fascine toute la petite bande d'intellos newyorkais, comme Carlo, alias Allan Ginsberg (Tom Sturridge), vilain petit binoclard un peu suicidaire. Ils passent des soirées pleines de marijuana, de sexe (c'est toujours Dean qui met le premier la fille dans son lit) et de musique. Soirées de baise, à deux, trois, voire plus. Mais c'est Sal qui le suivra au bout du chemin, en compagnie de la jolie Marylou, l'ex épouse, jolie comme dans Gainsbourg et passablement nympho (Kristen Stewart). Ils iront ainsi de New York à Denver, de Denver à San Francisco, où vit l'épouse officielle de Dean avec ses deux filles (Kirsten Dunst). Avec un petit détour par la Nouvelle Orléans, où vit avec femme et enfants Williams Burroughs (Viggo Mortensen) qui a vraiment l'air de ne pas être très au clair.... Faut dire que quand on a terminé Le festin nu, on a bien l'impression que le bon Will navigue à côté de sa barque....
On roule, donc, on roule, c'est généralement Dean qui conduit sans nullement se soucier des limitations de vitesse, un joint dans une main, une bouteille dans l'autre, et parfois se faisant de surcroît faire une petite gâterie... Salles filme magnifiquement la vitesse. Il aime les plans rapprochés, un peu flous; formidable et très érotique scène de be bop entre Dean et Marylou. Le be bop c'est quand même autre chose que le disco... Et comme il filme bien les pieds frappant la route.... la scène d'introduction, où Sal voyage sur la plate forme arrière d'un camion avec des ouvriers agricoles est épatante.
Mais où est passée la lenteur? Car avec la drogue, il y a aussi les moments planants où le temps s'immobilise. Et puis, Sal /Jack se trouve un peu réduit à l'état d'un spectateur, d'un voyeur (il l'est, comme tout écrivain), participant parfois, mais pas de très bon gré, étant moins porté à l'exibitionnisme sexuel que ses amis... Et où est passé son côté mystique? Car Kerouac a gardé, en dépit de tout, son côté catho.
C'est encore un film sur le processus de création artistique. Il a fallu un pitoyable dernier voyage au Mexique, où Dean l'a trahi; il a fallu que Sal abandonne à son tour son ami pour qu'il puisse, enfin, libéré, se mettre à écrire.
Et le spectateur? Le spectateur s'embête un peu par moments. Il pense qu'on aurait pu couper dans ce film, qu'il a des longueurs, comme cette route interminable, qu'il y a des redites. Ça reste un très beau film, intéressant, j'en reviens à mon interrogation primitive, Salles était il le mieux à même d'adapter ce roman.... inadaptable. Eh bien, la question ne se pose pas puisqu'il a été le seul à avoir le courage de s'y coller. Tous les autres se sont dégonflés....