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Walter Salles savait qu’il serait attendu au tournant en adaptant le roman de la “Beat generation”. Son entrée dans la compétition cannoise et une bande-annonce réussie laissaient croire que l’esprit de Kerouac avait été retrouvé. Mais, il faut savoir que Kerouac n’a pas écrit un simple ouvrage. “Sur la Route” est le manifeste d’une Amérique qui prospère, qui se retrouve au paroxysme de sa puissance après les deux guerres mondiales. Cela entraîne un changement des consciences: ces héros de papier veulent seulement vivre, ou plutôt jouir de la vie (sexe, alcool, drogue, musique, ne pas réfléchir aux conséquences). Une seule règle les dirige: aucun attachement matériel ou géographique. Il faut vouloir prendre la route, écouter son appel et vivre, dans la misère parfois. La sensation est reine.
Le réalisateur brésilien ne réalise pas un mauvais film (certes un peu long), il oublie juste l’esprit de Kerouac. Si l’on ne prend ce film non en tant qu’objet à part, mais en tant qu’adaptation du roman, il est raté. Son problème ne réside pas dans sa réalisation, ses acteurs, ou sa qualité plastique (réussie). Il réside dans le fond même.
“Sur la Route” n’est plus, d’abord, le symbole de la route. Walter Salles transforme les espaces de Kerouac pour les amener vers un confinement qui ne sied guère. Les personnages déambulent dans une succession d’endroits clos, perdant toute liberté, toute capacité de mouvement. Salles les paralysent, les enlisent dans l’Amérique qu’ils essaient justement de fuir, celle des conventions, celle des biens matériels. La route n’est plus le personnage central, c’est la voiture qui prend le relai. Et c’est encore une fois le confinement qui rapproche ces corps entassés dans la taule. Ils ne sont plus guidés par cette envie de partir.
De plus, Salles cherche (intelligemment) à retrouver le caractère subversif qu’a eu le roman lors de sa parution en 1957. Mais le monde a bien changé, et les moeurs sont largement moins farouches. La seule solution pour Salles est de ne s’attacher qu’à la drogue, qu’au sexe. “Sur la Route” version 2012 n’est alors qu’un raccourci stérile de l’oeuvre de Kerouac devenant un Best-Of des scènes érotiques, et des prises de substances. Bien sur qu’elles parsèment le roman, mais elles ne sont que le moyen d’expression de leur sentiment. Salles place la périphérie au centre, perdant l’intérêt et la perspicacité de Kerouac.
Enfin, Salles n’a pas la finesse psychologique de Kerouac. Kerouac a le génie de donner du réalisme dans des personnages loufoques, extravagants. Le plus bel exemple réside dans le personnage de Jane (joué par Amy Adams). Salles en fait une folle (attention, cela est souligné par le fait qu’elle ne soit pas peignée – la folle est toujours ébouriffée) si peu crédible qu’il y perd son propos. Le seul personnage réussi est celui de Camille (Kirsten Dunst) puisqu’elle montre son désaccord avec la façon de vivre de Dean (présente dans tous les personnages du roman). Elle montre l’ambiguité car c’est la séduction de la différence qui l’a poussée à cette lassitude destructrice. Son personnage est l’âme de l’oeuvre originelle.
“Sur la Route” était jugé inadaptable, Walter Salles le confirme.