C'est l'histoire de Sal, un écrivain un peu paumé qui se cherche des idoles, ne veut vivre que dans l'excès et la passion, et qui cherche surtout un sens à sa vie. C'est l'histoire de Dean, un mec qui se traine un besoin d'affection lié à l'absence du père, sorte de pervers narcissique ultra magnétique qui aime être aimé et y parvient extrêmement bien. C'est l'histoire de Marylou, gamine rêveuse pour qui la quête d'absolu passe par la quête de Dean, auquel elle est attachée parce qu'elle sait qu'il glisse entre ses doigts et que jamais elle ne pourra l'avoir. Et c'est accessoirement l'histoire de Carlo, jeune homosexuel fan de poésie qui, pour les mêmes raisons que Marylou, brûle d'amour et de désir pour Dean en qui il pense avoir trouvé l'être absolu, l'homme, celui avec un grand H, avec qui le sexe a un sens. Bon, c'est gentil, cette histoire de jeunes qui s'idéalisent entre eux, qui se désirent, qui se perdent, qui se retrouvent, qui cherchent un sens à leurs vies, qui sont en fait en quête de leurs origines.Mais ici, dans le film, le problème c'est que l'on sait où l'on va, et que malgré toutes les belles phrases mises en œuvre pour nous faire réfléchir, la réflexion est pré-mâchée. Tout nous est balancé, il ne nous reste plus rien à interpréter. cette Je comprends le but recherché, nous montrer une jeunesse incandescente, qui se consume, qui « brûle » comme Sal et Dean le disent eux-mêmes à plusieurs reprises. Mais cette volonté de mettre en scène la fureur de vivre, cette sorte d'admiration que Walter Salles a pour ses personnages, au lieu de les rendre fascinants, sonne faux. Il y a comme une mise en abyme de l'admiration : Les personnages s'admirent entre eux (ce qui donne d'ailleurs lieu à une réplique insupportable où un type demande à Sal où il « trouve ces gens géniaux », ajoutant que lui ne « rencontre jamais personne comme ça »), ou du moins admirent Dean, et le réalisateur lui-même admire ses personnages. On a l'impression que le film ne prend pas de recul par rapport à ce qu'il raconte, qu'il tombe lui aussi sous le charme de ces jeunes bohèmes quitte à en perdre tout esprit critique. Et on a en plus cette désagréable impression que tout est fait pour que nous aussi, nous nous laissions séduire et porter d'admiration pour ces « fous » qui se laissent porter par leur jeunesse. Cette volonté de nous étourdir de la décadence des personnages se retrouve dans la manière-même dont Salles filme : des caméras à l'épaule, des séquences où la caméra tourne avec les personnages, comme pour nous faire perdre la tête à nous aussi...
Si cet amour et cette admiration que Salles semble porter à ses personnages pourra en toucher certains -car après tout, quoi de mieux qu'un réalisateur qui aime ceux à qui il donne vie à travers sa caméra ?-, elle risque aussi d'énormément lasser, ce fût mon cas. On a rapidement l'impression de participer à une sorte de délire égocentrique et même de l'encourager, de rentrer dans le système auto-contemplatif du film.
Tout semble alors devenir prétexte à la folie, à montrer à quel point ces jeunes consument la vie par les deux bouts, à montrer qu'ils ont une soif infinie d'expérience. Que ce soit ces scènes de sexe répétitives et pas toujours réussies (elles deviennent parfois grossières car on sait où cela veut en venir) qui semblent se gargariser d'elles-mêmes, ou ces passages où les personnages semblent vouloir « faire des folies pour faire des folies » (la conduite nus, les excès de vitesse, l'insolence envers les flics). On a vraiment l'impression que tout est bon pour nous montrer combien ils savent vivre même s'ils ne savent pas où ils vont.
Mais une folie autant revendiquée perd de son pouvoir d'attraction. À force de nous rappeler, par des formules en voix-off à visée poétique, par des plans avantageux, par des ellipses, la soif de nouveauté et le désir d'absolu des personnages, le message se dénue de toute force. Comme si, à trop vouloir montrer des fous, Sur la route ne montrait que des gens qui se prennent pour des fous.
Finissons sur le jeu des acteurs, que je n'ai pas mentionné jusque là car il est tout simplement moyen. Sam Riley, qui était extrêmement prometteur dans Control, livre ici une interprétation honnête mais énervante, celle d'un personnage suiveur qui vit par procuration et se délecte de ce qu'il admire chez les autres. Kristen Stewart ne dégage pas grand chose. Si elle n'a pas sur le front l'étiquette de la nymphette de Twilight, elle ne réussit en tout cas pas à faire vivre et à donner corps à la Marylou qu'essaie de nous vendre Salles. Et Garrett Hedlund, si l'on oublie son impressionnante beauté, ne dégage pas vraiment le pouvoir d'attraction que Dean est censé incarner. Ils sonnent en fait tous comme des coquilles vides. Seule Kirsten Dunst est vraiment bonne en fille rangée qui sent qu'elle ne satisfait pas les envies de liberté d'un mari qui lui échappe. Dommage, on ne la voit que trop rarement dans le film...