Dans les films qui traitent du sommeil, deux grandes oeuvres se démarquent : le remake de Body Snatchers pour son efficacité terrible, et Les Griffes de la nuit, petit révolution visuelle orchestrée par le tout autant révolutionnaire Wes Craven. Sa qualité était, à la base, loin d'être assurée; à peu près sorti entre plusieurs bouses, notamment La Créature du Marais et La Colline à des Yeux 2, il se pose comme un film d'auteur de très grand talent, très proche des grands films à suspens ayant marqué l'histoire du cinéma.
Et s'il apporte énormément au genre, c'est premièrement par le cynisme de sa représentation du mal absolu : Freddy, s'il sait être effrayant, abordera toujours un comportement excessif, des expressions caricaturales le rapprochant plus de la parodie du Boogeyman que de l'invention d'un nouveau symbole du mal. Et c'est par ses rires pervers, par ses mouvements grotesques que Freddy s'impose comme l'un des plus grands psycho-killers de l'histoire du cinéma : en prenant à revers les codes instaurés par Psychose, La Nuit des Masques et Vendredi 13, il invente ses propres règles pour les imposer, à son tour, au genre entier.
Si Robert Englund est très talentueux, c'est surtout le maquillage et ses habits, devenus depuis cultes, qui participent principalement à la réussite du personnage; visage brûlé, corps massacré, extensible, ses griffes rendent le personnage encore plus laid, difforme; la prolongation de ses membres sert à tuer, autant que son chapeau, déchiré, représente un passé d'homme malsain. Il est aussi répugnant extérieurement qu'intérieurement, Englund le soulignant parfaitement par un timbre de voix maîtrisé de bout en bout, entre le grotesque et le pervers.
Ses mouvements mécaniques appuient cette sensation de décalage entre le personnage et la réalité, dont les bras s'allongeront de manière kitsch, l'effet spécial vieillissant appuyant, sûrement involontairement, le charme et l'auto-dérision de l'oeuvre. Freddy impression dès sa première apparition, l'acteur donnant l'impression de se délecter du mal qu'il peut faire.
Si A Nightmare on Elm Street est une si grande réussite, c'est surtout par la virtuosité de sa mise en scène; désireux de ne pas tout montrer de manière directe, il fait le plus souvent appel à la suggestion, rendant ses meurtres glaçants, terribles, viscéraux (on se souviendra de la scène de mort de Depp, l'une des plus iconiques du genre). Pour ce faire, Craven use de totems spécifiques à l'horreur : la femme tuée qui revient sous sa bâche de morgue, couverte de sang, suffit à poser une ambiance, là où l'on aurait choisi, actuellement, un surplus de spectaculaire inutile et grossier.
Dès le départ, le suspens est intense et la progression de la tension dans les scènes gérée de main de maître : le premier rêve de l'héroïne, qui s'ouvre donc en classe de lycée avec la survenue du cadavre ambulant, se poursuit par une scène en extérieur où la brume représente astucieusement le cauchemar, pour monter toujours plus dans l'effroi avec une conclusion de scène en plein sous-sol, dans l'antre de Freddy : c'est une ouverture à l'enfer, à l'horreur, à ce qui viendra par la suite.
Tout le reste, pour ne pas trop vous en révéler, monte progressivement dans le macabre et la violence, et sans atteindre des sommets de trash (ce n'est absolument pas le but du film), gère avec parcimonie les éléments à montrer de ceux qu'il suffit de suggérer. En ce sens, la scène du bain résume bien le principe de l'oeuvre : montrer, avec talent, des scènes d'horreur pour terrifier sans écœurer, le tout en apportant un propos de réflexion sur l'héritage que laissent les adultes à leurs enfants, de l'importance d'assumer son passé pour pour vivre pleinement le présent, de faire face à ses fautes pour que nos proches n'en pâtissent pas.