Balayons tout de suite (d'un revers de balai !) les a priori. Voilà un film documentaire (oui, mais les documentaires ont la cote en ce moment) qui parle de danse, contemporaine qui plus est. Certes, mais il n'est nul besoin de s'y connaître, ni même de connaître Pina Bausch pour en sentir toutes les subtilités. Il suffit simplement de se laisser porter. Il suffit d'être sensible et curieux. Le film nous montre un groupe d'adolescents sans expérience de la danse (et pour beaucoup, de la scène) qui vont répéter et jouer l'un des célèbres spectacles de la danseuse et chorégraphe, monté quelques années plus tôt par un groupe de sexagénaires. Deux danseuses et collaboratrices de Pina Bausch vont les encadrer avant que la chorégraphe vienne assister aux dernières répétitions. Le film commence par le début du spectacle. Nous voyons alors un groupe d'inconnus, filles et garçons, les premières en robes colorées, les seconds en costumes sombres, entamer une danse à la fois mécanique et tribale. Ce même plan sera repris à la fin alors que nous aurons fait connaissance avec certains d'entre eux, après qu'ils nous aient touchés, émus, que nous ayons appris à les connaître. On parle donc ici de création artistique et, bien au-delà (mais tout est lié) de travail de groupe, d'appréhensions, de difficultés, d'acceptation des corps (du sien, de celui de l'autre), d'élans vitaux, de joie, de bienveillance. La caméra alterne plans larges et plans très rapprochés sur ces jeunes visages emplis de craintes et d'envies. Plus puissant que tous les discours, plus éloquent que toutes les belles pensées d'une élite caviardisée qui met un "C" majuscule en tête du mot culture, le film nous fait partager le plaisir simple mais puissant d'un groupe allant dans la même direction, sans intellectualisation, sans doctrine, sans élitisme. A l'heure où nos gouvernants étalent leur inculture avec une obscénité décomplexée, Les rêves dansant impose la création artistique dans sa dimension humaine, sociale et politique. Ici l'écoute de l'autre, la tolérance, la richesse de chacun associé à celle de tous les autres dans un mouvement uni de dépassement de soi, s'oppose avec force au cynisme ambiant. Et pourtant, nulle naïveté, nul esprit baba-cooliste, nul cliché ne s'expriment ici. Le travail de Pina Bausch se nourrit de l'amour de l'humain, de son observation, mais aussi d'exigence. Alors que la chorégraphe est aujourd'hui disparue, le film lui rend le plus beau des hommages. Lorsqu'à la fin la troupe salue bravement sous les applaudissements, les larmes qui nous montent aux yeux sont plus parlantes que tous les discours. Sobre, beau et profond, Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch, plus émouvant qu'une fiction, est un film absolument indispensable.