Comme beaucoup d’autres avant lui, Prisoners doit une partie de son succès au buzz qui le précède. Rapidement, les teasers trailers envahissent le Web, le bouche-à-oreille autour du film se propage comme une épidémie, et, à peine sorti, les louanges qui l’entourent sont nombreuses. Il faut dire aussi que l’homme derrière la caméra n’en est pas à son coup d’essai : Incendies, son précédent métrage, avait déjà fait sensation, au point de se voir nominé parmi les meilleurs films en langue étrangère aux Oscars 2010. A mi-chemin entre le cinéma indépendant et le blockbuster, Prisoners offre un cure de jouvence au septième art moderne, renouant avec l’âge d’or des thrillers et dynamitant son contenu en explosant les clichés habituels. C’est dans une petite bourgade de Pennsylvanie, par un hiver froid et pluvieux, que l’histoire prend place. Le jour de Thanksgiving, le kidnapping de deux fillettes constitue le point de départ d’une chasse à l’homme intense. Mais, devant l’absence de résultat d’une enquête qui piétine, les familles organisent elles-mêmes les recherches. Très réaliste dans sa globalité, le film de Denis Villeneuve s’arme d’une photographie sombre et glaciale, suscitant un engouement légitime qu’une musique immersive viendra compléter. Entre une ou deux scènes chocs, justifiant pour le coup la restriction d’âge, c’est sur un jeu d’acteur très solide que s’appuie le film. En effet, en délaissant les productions à gros budgets, Hugh Jackman trouve son meilleur rôle, interprétant un père de famille ravagé, prêt à tout pour retrouver sa fille, dont un interrogatoire musclé alliant violence psycho-physique à problématique morale. Difficile, la brutalité de certains plans explore le côté obscur de l’Homme et soumet le spectateur à un questionnement intérieur sur ses actes dans une situation similaire. Tendance qui va d’ailleurs en opposition d’avec les nombreuses références bibliques d’introduction, où le père aimant et pieux se transforme en véritable monstre capable des pires atrocités. Antagoniste à première vue, le détective brillamment incarné par Gyllenhaal n’est pas mis en abyme, au contraire. Travaillé jusque dans ses troubles, le personnage servira à justifier la position manichéenne du film et à offrir au père une réelle confrontation avec lui-même. S’arrêter maintenant donnerait au public l’illusion d’une réussite incontestable, mais biaiserai par la même occasion le jugement que l’on peut s’en faire. Premier exemple, la direction scénaristique choisie par les principaux protagonistes. Logique, certes, mais trop facile, elle décrédibilise quelque peu le réalisme et le fondement même du film. Tête baissée, le père de famille s’organise justicier et s’auto-désigne un coupable, sans jamais se remettre en question ou éventuellement privilégier d’autres sources. Pourquoi se restreindre à un seul coupable ? Comment être certain de sa responsabilité ? De plus, le métrage accorde trop d’importance à certains plans, tourne parfois en rond et consacre près d’une heure à un axe idéalement clos en deux fois moins de temps. Les conséquences sont simples : conclusion prévisible, intérêt qui tend à décroître. Certains le considèrent déjà comme le thriller de l’année, d’autres y voie un signe et pronostiquent des nominations aux Oscars. Que ces opinions soient bonnes ou mauvaises, Prisoners reste une production sûre, alternative aux schémas habituels, mais qui aurait gagné à aller plus rapidement à l’essentiel en se débarrassant de vilaines minutes prolixes. L’effort est là, c’est tout ce qui compte.