Voila un film que je redoutais, tant en raison de son pitch que de ses critiques trop dithyrambiques. La surprise est d’autant plus belle car ce "Prisoners" est une incontestable réussite ! Le réalisateur Denis Villeneuve réussit, d’ailleurs, un véritable tour de force en parvenant à insuffler une véritable atmosphère à son film et, ainsi, à lui conférer une véritable identité… ce qui n’était pas gagné au vu de l’histoire racontée et qui n’est pas, en soi, totalement inconnue du public (voir "La Rançon", "Man on fire" et autre "The Pledge"). Villeneuve a, ainsi, l’intelligence de s’appuyer sur un environnement très marqué (la ruralité de la Pennsylvanie, comme symbole de l’Amérique reculée), appuyé par un BO de circonstance et sur des personnages tout simplement époustouflants et campés par des acteurs visiblement très désireux de casser leur image. Il faut voir Jake Gyllenhaal en
flic à la coupe improbable et aux coups de sang flippants, laissant imagine une jeunesse compliquée
, Melissa Leo en
bigote terrifiante
, encore Paul Dano en
suspect idéal
pour se convaincre que Denis Villeneuve est un putain de directeur d’acteurs ! Quant à Hugh Jackman, qui aurait pu imaginer qu’il était possible de le rendre aussi insignifiant sur un plan physique ? Plus que cette transformation, c’est la complexité de son personnage qui impressionne puisqu’il
pousse le spectateur à réprouver ses actes sans pour autant le blâmer tant ses motivations sont compréhensibles
. Ce n’est, donc, pas un hasard si le premier tiers du film impressionne et laisse augurer un chef d’œuvre anxiogène et bouleversant. Malheureusement, à partir de
l’enlèvement du principal suspect par le père
, le rythme patine un peu et "Prisoners" a tendance à tourner en rond avec
sa succession de séances de torture, certes douloureuses mais répétitives qui limite un peu trop le rôle de Hugh Jackman
. Heureusement, l’enquête avance en parallèle, ce qui permet au personnage du flic de gagner en importance et en complexité… mais cette évolution se fait au prix de la crédibilité de l’intrigue qui ne fait pas l’économie de certaines grosses ficelles scénaristiques
(voire les intrigues secondaires qui finissent par avoir une ramification avec l’enlèvement)
. Le paradoxe du film est que c’est grâce à cette évolution un peu trop hollywoodienne que le film échappe au piège du film purement austère (piège que n’avait pas évité "The Pledge") et conserve, ainsi, son accessibilité grand public, ce qui est, à mon sens, un plus non négligeable dans se genre d’histoire, déjà suffisamment dure sans qu’on ait à en rajouter dans la noirceur. Ces grosses ficelles empêchent, seulement, le film de définitivement tirer son épingle du jeu, comme le laisser présager le premier tiers du film. On peut, aussi, s’interroger sur l’opportunité d’accorder une place aussi importante à
la religion
et sur la durée du film qui aurait gagné à être raccourci d’une bonne vingtaine de minutes. Ces défauts sont, néanmoins, relativisés par le formidable final, tout en tension et en révélation choquantes
(même si, là encore, le côté hollywoodien n’est jamais loin comme en attesta le dernier plan)
. "Prisoners" est, donc, une vraie surprise qui place le spectateur dans une situation d’inconfort constant
(l’enlèvement d’un enfant au sort plus qu’incertain, les gimmicks des serpents, le sort qu’il convient de réserver au simple d’esprit, les tensions entre victimes et policiers…)
et qui devrait offrir à Denis Villeneuve une place de choix à Hollywood au cours des prochaines années.