Très peu de thrillers policiers sont entrés dans les mémoires. Les rares, au lieu de se contenter de leurs têtes d’affiche, se permettaient d’approfondir la psychologie des protagonistes (qui semblent souvent moins cleans que ne le penser les clichés hollywoodiens), de proposer une atmosphère hors norme et ce grâce à une mise en scène unique (due au talent du réalisateur) et de nous faire réfléchir sur nos propres vies (véritable remise en question via justement les personnages travaillés proposés et des séquences choc). Parmi les titres en question, nous pouvons sans conteste citer Le Silence des Agneaux, Se7en ou encore Zodiac (eh oui, deux fois David Fincher). Désormais, il faudra compter sur Prisoners !
La question peut pourtant être posée : comment peut-on dire qu’un film est sensationnel alors qu’il propose un sujet peu réjouissant. Soit la disparition de deux gamines qui va pousser l’un des pères à torturer l’accusé principal jusqu’à obtenir la réponse qu’il désire de tout son cœur. Tandis que le flic chargé de l’enquête va plutôt s’intéresser à lui plutôt qu’à la résolution de l’affaire elle-même. Une histoire qui, sur le papier, n’inspire guère et qui ne se montre franchement originale. Et pour cause, des trames d’enlèvement, de kidnappings et du fait de se faire justice soi-même, le cinéma nous les rabâche sans cesse ! Et pourtant, Prisoners sort aisément du lot !
Car si le film suit une enquête, le scénario, lui, préfère se pencher sur la descente aux enfers de ce père de famille. Qui s’emprisonne dans sa quête de réponse (où est sa fille ? est-elle en vie ?) pour commettre l’impensable. Un père prêt à tout pour retrouver sa progéniture, jusqu’à mentir à sa propre famille (obligé de jouer les mecs qui s’enfoncent dans l’alcool et de recevoir cette image en pleine face alors qu’il ne fait que cacher les horreurs qu’il fait sur l’accusé de l’affaire) et devenir à son tour un monstre (le frapper quasiment à mort, prêt à utiliser un marteau, le séquestrer dans une « douche » afin de le torturer tout en le gardant en vie…) qui fait participer son pote (le second père), alors que celui-ci, également avide de réponses, voit néanmoins pointer la limite d’humanité dépassée par son ami (« torturer un être humain, c’est moche »). Et pourtant, on est toujours avec lui. Dans sa détresse, son désespoir. Dans ses monstruosités. Et on le comprend, on le plaint ! Allant nous dire de plein fouet que, si ce père réagit de la sorte, c’est à cause de la police. Ou du moins de l’inspecteur qui s’occupe de l’affaire.
Vient alors la seconde trame de l’histoire, celle de ce policier. Un personnage, quant à lui, prisonnier de sa supériorité (monsieur a réussi à boucler toutes les enquêtes qu’on lui avait donné). Une obsession de devoir boucler le dossier rapidement et bien, qui va pourtant le faire passer pour un incapable et un véritable connard (et je pèse mes mots !). Un flic, très loin des clichés du genre, qui ose disputer sans tabou son propre chef, d’insulter le père dans son dos quand celui-ci le dérange, de textoter pendant l’interrogatoire de la mère attristée, qui ne prend pas de notes (lui donnant un incroyable air de « je m’en foutiste »)… Tous ces petits détails qui le rendent abjecte ! Surtout quand, n’ayant pas de réponse, il craque, enchaînant les bavures. Jusqu’à lui-même changer, enfin (dire qui lui faut une telle affaire pour qu’il devienne quelqu’un de bien) !
Deux trames différentes et pourtant liée, orchestrées par des scènes d’une puissance émotionnelle d’une rare efficacité. Parce que, faire réfléchir, c’est une chose. Nous faire éprouver un sentiment en est une autre ! Un exercice difficile que réussit haut la main Prisoners, prenant littéralement aux tripes. Cela, on le doit d’une part aux séquences que propose le film, aux réflexions qu’elles imposent. Un scénario qui cloue sur place par le traitement des personnages, de la cruauté des situations (l’ironie est d’une noirceur inimaginable) et de répliques fouillées à la perfection.
Et si vous sentez une (ou plusieurs) larme(s) couler sur la joue, vous le devez également à l’interprétation des acteurs. Tous se montrant magistral, sans exception ! À commencer par Hugh Jackman, en père incontrôlable, qui trouve ici son plus beau rôle à ce jour (son regard rougie par la colère en dit bien long). Jake Gyllenhaal, tout aussi imposant, joue la carte de l’insolence pour le rendre détestable ce flic trop sûr de lui. Paul Dano, habitué aux comédies romantiques et consorts, fait un présumé pédophile aussi répugnant qu’attachant (un coup on aimerait le tuer nous-même, un autre on voudrait stopper Jackman dans sa folie). Terrence Howard attriste grandement par sa situation de second père impuissant face à la situation et à son ami qui pète les plombs. Maria Bello et Viola Davis imposent également leur présence. Bref, un casting exceptionnel, il n’y a pas d’autres mots !
Sans oublier la mise en scène de Denis Villeneuve (à qui l’on doit Incendies), tout simplement impeccable. Et efficace, surtout pour faire tenir une telle tension, une telle atmosphère durant 2h33 ! Dès la scène d’ouverture, l’atmosphère s’annonce pesante, lourde, dangereuse. Des plans assez longs qui n’arrivent aucunement à nous désintéresser, qui expriment à merveille la descente aux enfers du père. Des séquences aux jeux de lumière maîtrisés et à un silence (très peu de musiques) qui nous plongent dans les ténèbres les plus profondes de cette histoire. Qui empirent par ces plans d’averses continues ou de neige étouffante qui font ressortir tout le côté glauque du film. Comme quoi, pas besoin de violence visuelle (du sang qui gicle, de massacre ou quoique ce soit de ce genre) pour choquer et impressionner !
Mais ce qui me chagrine vraiment, c’est de ne pas mettre à Prisoners la note suprême. Car le film le mérite amplement ! Malheureusement, je me dois de la descendre un chouïa, à cause des dernières minutes. Et pour cause, la puissance du film se retrouve amoindrie par la quantité de révélations que la fin nous réserve. Vraiment dommage…
Quoiqu’il en soit, Prisoners restera un véritable film coup de poing. Le plus prenant, le plus humain (ou inhumain, cela dépend), le plus glauque (Saw et sa violence visuelle ne valent rien) qu’il m’est été donné de voir au cinéma ces dernières années. Un film qui marque. À vie ! Si vous restez insensibles, vous devriez franchement vous poser des questions !