Premier film américain du québécois Denis Villeneuve, révélé en 2010 avec le très bon "Incendies", "PRISONERS" est un thriller dramatique situé à mi-chemin entre "Zodiac" et "Mystic River".
A l'image des deux films de David Fincher et Clint Eastwood cités en exergue, "PRISONERS" situe son intrigue au sein d'une paisible et banale cité américaine, où les familles, dominées par un patriarche travailleur, semblent vivre dans une parfaite harmonie, entourées de voisins cordiaux. Et puis l'impensable drame se produit, et les fissures apparaissent. Toute cette sérénité, cet équilibre, se dérègle violemment, et les limites de ces si sympathiques congénères se dévoilent au grand jour. Vous l'aurez compris, en plus d'être un film policier empli de suspense, "PRISONERS" est également un drame humain sur le thème de la sacro-sainte famille américaine typique dont il explore les tréfonds. Hugh Jackman est d'ailleurs absolument parfait dans la figure du père courageux, aimant et surprotecteur; déchiré par la douleur et l'impuissance suite à l’enlèvement de sa fille, perdu jusqu'à ne plus écouter ni croire ses propres prières, et finalement sombrer dans le mythe, encore une fois symptomatique au pays de l'Oncle Sam, de l'auto-sécurité, de la justice personnelle. Car si la trame est ici ultra-convenue, les acteurs sont les principaux atouts que ce film possède dans son jeu. Face à "Wolverine", Paul Dano ("Little Miss Sunshine", "There Will Be Blood") livre une nouvelle composition de choix derrière les épaisses lunettes d'un simplet diaboliquement ambigu, dont il est impossible de savoir si l'on doit s'apitoyer sur lui ou le maudire. Et puis il y a surtout l'excellente performance de Jake Gyllenhaal, en tout point remarquable sous la chemise serrée jusqu'à la gorge d'un inspecteur de police atypique et opiniâtre. Bourré de tocs symbolisant une colère sans cesse contenue et à la limite de la rupture, l'éternel interprète de Donnie Darko compose un personnage de flic écorché et un peu bourru, perpétuellement entouré d'un voile opaque : jamais on ne saura quelque chose de lui, ni son passé, ni sa vie privée, ni même son prénom. Pour compléter ce brillant casting, il y a encore pas mal de beau monde, comme Melissa Leo ("21 grammes", "The Fighter") et Maria Bello ("A history of Violence", "Fenêtre Secrète"). L'étude du caractère des personnages est prédominante dans "PRISONERS" et lui confère sa puissance, son côté film de genre, là où il n'aurait pu être qu'un énième thriller insignifiant de plus.
Une chose est sûre : Denis Villeneuve sait filmer. Accompagné du célèbre chef-opérateur britannique Roger Deakins, collaborateur attitré des frères Coen avec lesquels il a déjà vu son travail nominé quatre fois à l'Oscar de la meilleure photographie, le cinéaste québecois imprègne sa pellicule d'une atmosphère aussi sombre que suffocante, et nous offre une mise en scène aussi appliquée qu'élégante. Tout se passe entre un ciel gris et pluvieux et une terre boueuse et enneigée. Le scénario, dont le point de départ semble comme je le disais vu et revu, ne cesse de nous questionner sur des dilemmes moraux et dépeint des protagonistes dont on ne sait jamais vraiment si ils sont tout noir ou tout blanc, si ils ont raison ou tort, et sa richesse psychologique est d'une incontestable qualité. Ce script veut aussi, en plus d'interroger le spectateur, le perdre continuellement. Ainsi, à force de s'embarquer sur des fausses pistes et autres retournements de situation, il perd bêtement en crédibilité et en efficacité. C'est bien dommage car en faire autant ne servait absolument à rien et dessert au final un ensemble jusque-là cohérent. D'autant que celui-ci dure près de 2h30, et, si la tension est continue et que l'on ne s'ennuie jamais, on pourra reprocher à Villeneuve d'avoir voulu étirer son récit. On a donc le droit à des rebondissements ne servant absolument à rien (attention spoiler : l'inutile fausse piste de l'homme au serpent en est l'exemple le plus frappant, tant ses agissements sont incompréhensibles), et on ne peut s'empêcher de penser qu'avec une petite demi-heure de moins, le résultat aurait été bien plus probant.
En outre, "PRISONERS" est un polar saisissant, incroyablement froid et paranoïaque, au visuel bien carrossé, n'ayant rien à envier aux œuvres de l'incontournable David Fincher. Il est certes un peu balourd et maladroit par moment, mais admirablement servi par un scénario renfermant une machination infernale et prenante jouant avec tous les codes les plus classiques du genre, et surtout par des acteurs au top de leur forme. A l'image d'absolument chaque personnage, et pas uniquement de ceux des fillettes kidnappées, le spectateur est ici retenu prisonnier d'un obscur labyrinthe dont l'issue est bien difficile à trouver.
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