J'ai vu le film hier en avant-première au cinéma l'Eldorado à DIJON en présence de Mariana OTERO. Difficile de comprendre certains commentaires sur cette page ! Ce documentaire est tout à la fois très drôle, porté en cela par la personnalité des ouvrières, et bouleversant par le portrait d’une « humanité » toute entière faite de grandeur et de dignité d’un côté et de bassesse et de lâcheté de l’autre. Cette matérialisation du réelle sur grand écran donne le frisson. On voit parfaitement dans le déroulement de cette aventure le renforcement des liens entre les salariés motivés par ce projet commun au-delà même des différences de culture multiples dont le film se fait l’écho : ouvrières/cadres, françaises/étrangères, jeunes/vieilles… On voit aussi les moments de doute, d’incrédulité face au projet : « on nous cache tout », « on nous demande notre avis, mais c’est déjà décidé ». Mariana OTERO capte tous ces moments, capte les silences, les petites phrases, les coups de gueule avec une totale économie de moyen. Rien ne nous échappe.
Le film est un hommage poignant à celles et ceux qui se sont découvert des qualités, des envies, des forces qu’ils ne soupçonnaient pas dans un combat collectif. Un hommage poignant dont elles garderont traces, sûrement, jusqu’à la fin de leur vie. Le final chanté par les salariés (qui ont eux-mêmes écrits la chanson) est à cet égard une idée de mise en scène lumineuse et déchirante en ce qu’elle donne une force positive à cette expérience. Mariana OTERO redonne aussi sa dignité et sa grandeur, sa centralité et sa puissance au monde ouvrier : sans eux, il n’y a pas d’entreprise tout comme, sans hommes et femmes de bonne volonté, il n’y a point de vie en commun possible. Une piqûre de rappel salutaire dans notre époque individualiste.
Au final, Starissima, simple entreprise de lingerie féminine, prend alors l’apparence du monde dans lequel nous vivons en une réplique miniature de ces bonheurs et de ces malheurs, de sa diversité et de son uniformité.
« entre nos mains » en devient effectivement un grand film politique. Mais pas au sens militant du terme, « donneur de leçon » (de l’aveu même de Mariana OTERO), mais au sens premier : qui se rapporte à la cité, son organisation, sa gestion, ses relations sociales et son « vivre ensemble ». C’est tout cela et plus encore qui se retrouve condensé sur 1h30. Attention alors à ne pas se tromper : « entre nos mains » n’est pas une charge contre le néo-capitalisme d’aujourd’hui. Ce n’est pas son sujet. « entre nos mains » n’est pas un reportage de pseudo-décryptage économique à la Capital. Il s’agit d’une véritable œuvre cinématographique qui ne donne pas seulement « à voir » le réel mais qui le magnifie autant dans sa beauté que dans son désespoir.
Seul regret dans le cas présent : le sentiment de minimisation de la responsabilité de ce patron ci (il ne s’agit pas de généraliser et ce n’est pas le discours du film) dans la tournure du projet. Bizarrement, en évoquant ce patron, c’est au film de Jacques Becker, « Le trou » que j’ai pensé. Comme l’un des détenus dit à Gaspard qui vient de les trahir en les dénonçant au Directeur de la prison, on a envi de le plaindre en lui disant : « Pauvre patron ». Les propos de Jacques Becker à propos de son film pourraient d’ailleurs s’appliquer mot pour mot le concernant : « le problème humain, les rapports entre individus condamnés à vivre ensemble, c’est l’histoire de Judas. Ce qui est passionnant, c’est de voir comment cette entreprise très adroite a été réduite à néant par quelqu’un qui s’est comporté comme Judas, qui participe jusqu’au bout et finalement trahit. Il y a dans ce type un côté maudit ». A bon entendeur…