Le cinéma argentin est loin d'en avoir fini avec la sale dictature militaire des années 70/80 et on ne va pas l'en blâmer. Il en résulte des films singuliers, métaphoriques et intrigants, comme L'oeil invisible, troisième long-métrage de Diego Lerman. Plutôt que de montrer les rues de Buenos Aires, alors que le régime commence à perdre de sa superbe, le réalisateur installe sa caméra en deux lieux : l'appartement où vivent Maria Teresa, 23 ans, sa mère et sa grand-mère ; le lycée, surtout, où officie la jeune femme, surveillante chargée de faire respecter la discipline et de dénoncer tout comportement potentiellement séditieux. Au-delà de son symbolisme politique, qui a ses limites, le film se révèle passionnant dans l'étude de caractère de cette jeune femme revêche, toujours vierge, tenaillée par le désir et accablée par la frustration. Le jeu subtil de Julieta Zylberberg, constamment à l'écran, est pour beaucoup dans la réussite, partielle, de L'oeil invisible. La mise en scène de Lerman est remarquable, jouant sur l'architecture du lycée, créant un climat oppressant, dans l'attente que la cocotte minute explose, quelles qu'en soient les conséquences. On pourra trouver le film austère, l'ambigüité de son personnage principal participe pourtant de la fascination qu'il exerce, ses aspects sordides -beaucoup de scènes ont lieu dans les toilettes- et à la limite du malsain, compris. S'il ne s'impose pas comme le très grand film qu'il aurait pu être, L'oeil invisible, de par sa rigueur, son exigence artistique et son approche psychologique trouble (troublante) de son héroïne, mérite un détour.