Oren Moverman, qui n’en n’est là qu’à sa deuxième réalisation, après le convainquant The Messenger, livre un drame complexe et psychologique. Les initiés aux lourdes et pessimistes pérégrinations du formidable James Ellroy auront à cœur d’y retrouver tous les critères qui auront faits le succès du romancier des années durant. Paradoxalement, le public non averti aura quant à lui nettement plus de mal à juger de la teneur de Rampart, film presque dépressif qui trace les derniers instants de liberté d’un monstre social inadapté. Tous les personnages de la bibliographie de James Ellroy traînent des casseroles, marchent sur le fil du rasoir, mais ici, le personnage central, qui figure dans toutes les séquences, n’a plus le moindre avenir. Le propos est sombre, difficilement appréciable pour celui qui ne pensait y voir qu’une descente aux enfers policière telle que pouvaient les mettre en scène David Ayer.
Ni héros ni même anti-héros, Dave, le policier dont on parle, est une ordure. Sexiste, machiste, raciste, assassin et voleur, le panel complet du parfait mauvais bougre. Le film ne raconte pas comment il en est arrivé là mais fait office de continuation. Les bavures, méfaits et autre excès de zèle continuent et envoient notre sinistre agent droit dans le mur, un mur que l’on ne verra pas mais que l’on imagine inévitable. Alors que le cinéma aborde souvent le thème de la rédemption, ici le personnage est littéralement incapable de changer, semble t-il coincé dans une époque qui ne lui est pas compatible. Persuadé d’incarner la loi et l’ordre, persuadé de faire le bien, le flic ripoux nargue ses congénères, ne semble pas éprouver le moindre remords alors qu’il chasse les femmes dans les bars, qu’il s’incruste auprès d’une famille recomposée qui ne veut plus du mal entre ses murs.
Lourd propos que voilà tenu par un cinéaste résolument tourné vers l’humain d’avantage que vers le spectacle. Qui de mieux que James Ellroy pour dépeindre le mal qui ronge un agent de l’ordre? Sans doute personne et Oren Moverman saute sur l’occasion. Si le réalisateur sait pertinemment que son film se fera discret, il ne renâcle toutefois pas à apporte du soin à sa mise en scène, malgré quelques tours de caméra parfois douteux. Les plupart des séquences sont tout à fait formidables, constituées de gros plans ou de plans distants qui montrent soit les expressions des personnages soit le cadre dans lequel ils évoluent. Soulignons toutefois que l’agent Dave n’est pas le seul esprit torturé du récit, Robin Wright en avocate nymphomane n’est pas mal non plus, sans parler de Ben Foster en clochard alcoolique impotent.
Mais par-dessus tout, le troisième artisan de ce projet, l’indispensable interprète, ne doit pas être négligé. Woody Harrelson y est là absolument formidable. L’acteur, qui l’on retrouve régulièrement mais peu souvent sous un jour comme celui-ci, impressionne de justesse, semblant aussi à l’aise en flic corrompu et au bout du rouleau qu’il ne l’était en tueur maniaque pour Oliver Stone. Son interprétation, qui n’est pas restée inaperçue outre Atlantique aura semble t-il fait peu d’émus de par le monde. Quoi qu’il en soit et pour la maigre importance qu’accorde Harrelson aux récompenses, voilà une interprétation qui n’aurait pas dépareillé dans la catégorie meilleur acteur à la cérémonie des Oscars. Bref, au final, ceux qui aiment y verront un film complet, choc et élaboré. Les autres s’ennuieront ferme, pour sûr. A choisir son camp donc, comme je l’ai fait. Superbe. 16/20