Pour le spectateur non avertis, "Armadillo" pourrait apparaître comme une fiction au style réaliste, au même titre que "Bloody Sunday" par exemple. Et pourtant c'est bien de l'inverse qu'il s'agit, un documentaire qui bouscule les barrières stylistiques entre la réalité et la fiction. Exercice cinématographique périlleux, car pouvant facilement desservir le caractère véridique du film, mais Janus Metz relève le défi avec brio, et réussit un film choc autant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme d'abord, le film est réellement construit comme une fiction, ainsi les scènes parlent d'elles-mêmes et se répondent les unes aux autres, sans voix-off ni interviews explicatives. Pour ponctuer ses images, Janus Metz préfère utiliser la musique, comme vecteur d'émotion. Les scènes elle-mêmes semblent tout droit sorties d'une fiction. Les plans sont pour la plupart sublimes avec un magnifique travail sur la lumière (y compris en post-prod), des cadrages soignés (tout en étant réelles, certaines scènes ont sans nul doute été mises en place), et l'absence de regard vers la caméra. Par un habile travail de montage, les séquences se découpent comme dans un film classique comme si elles avaient été tournées sous plusieurs angles. Mais un tel radicalisme stylistique ne nuirait-il pas à la véracité du film ? Oui et non, en fait. Il est vrai qu'il vaut mieux être avertis de la réalité des faits qui se déroulent sous nos yeux, sans quoi on croirait regarder une fiction très habile. Mais cette distance avec la réalité créée dans la tête du spectateur est sans doute voulue par Janus Metz, quand on regarde de plus près le propos du film.
Car, en effet, sur le fond, "Armadillo" met en avant de jeunes danois qui partent en Afghanistan pour vivre "une expérience", pour "l'aventure", pour se confronter à une guerre qu'ils ne connaissent que par le biais de la fiction ou des jeux vidéo. On comprend alors mieux les intentions de mise en scène de Janus Metz, de nous montrer la guerre comme la voient ces soldats. Le réalisateur les filme dans leurs longues journées d'ennui reclus dans leur camp, dans leurs rapports difficiles avec les populations, dans leur paranoïa qui les gagne à force de se confronter à un ennemi fantôme, dans leur rapport à la mort de certains de leurs compatriotes, dans leur attente d'action. Janus Metz filme en fait tout ce qui se passe dans la tête de ces jeunes soldats, même s'il n'est pas toujours facile au simple spectateur d'appréhender toute cette psychologie. Et c'est surtout vrai lorsque l'action tant attendue par les militaires arrive enfin au détour d'une patrouille de surveillance, au cours de laquelle quatre talibans vont trouver la mort. S'ensuivent un "dépouillage" de cadavres et un "débriefing" plutôt borderline. Difficile de comprendre l'euphorie qui gagnent les soldats, lorsqu'on n'a pas vécu une telle situation. Neutre, Janus Metz ne défend ni ne condamne les faits mais laisse toute fois la place à quelques explications de la part des deux points de vue, et c'est peut-être la partie du film où le message est le plus explicite. Le reste du temps Janus Metz laisse aux images le soin de s'expliquer par elles-mêmes, même si par son montage, et certaines scènes "orientées" sans être "dirigées", exposent clairement ce que le réalisateur a voulu faire passer.
Sans aborder un sujet novateur, Janus Metz apporte néanmoins un regard nouveau sur le thème délicat de l'impact psychologique de la guerre. En dramatisant à outrance son film, il a su tirer le meilleur des deux supports, documentaire et fiction, le poids de l'information et le choc des images pour l'un, l'émotion et le rapprochement aux personnages (bien que relatif) pour l'autre. Une claque psychologique et une leçon de ciné.