Sous toi la ville ne peut se penser qu'à partir du plan qui le conclut : il est impossible, à mon avis, d'en parler sans partir de la fin. Hochhäusler semble dénoncer cette espèce de vision étriquée qui suinte, de manière intemporelle, des films, donc du cinéma. Le réalisateur semble en effet, au terme d'une heure quarante-cinq de films, se retourner audacieusement sur le propre classicisme néoréaliste au sein duquel il a tété dès son premier film (pour rappel, Hochhäusler est un des fondateurs ou du moins un des piliers de l’École de Berlin, alias la Nouvelle Nouvelle Vague allemande). Il ne s'agit pas pour autant de renier ce qui s'est fait en plus d'un siècle de cinéma, le reste du film tend à le démontrer, il filme un sujet que d'autres ont déjà traité, parfois même mieux (Flandres de Bruno Dumont, Brothers de Susanne Bier, etc.). D'ailleurs, il s'écarte du sujet central qu'est la guerre, il ne filme que l'arrière, jamais il ne tombe dans la facilité d'aller sur le front. A y réfléchir rétrospectivement, le film se pose en fait dès son début contre les conventions et les ficelles les plus faciles du cinéma, il semble vouloir regarder ailleurs que là où beaucoup d'autres avant lui ont déjà regardé. Hochhäusler dépeint en effet assez vite une espèce de caricature de tout ce qui s'est hâtivement auto-estampillé "néoréalisme" (Nouvelle Vague, Free Cinema, Dogme...) en proposant une lumière et des couleurs d'une fadeur plutôt confondante (comme si la pellicule même avait eu un souci pour contenir les couleurs ou pâti d'un problème de conservation ou je ne sais quoi), pour en effet rebondir, de nuit, en intérieur, sur un plan extérieur, une véritable fuite en avant. Volontaire ou non, Hochhäusler semble adopter un point de vue que je qualifierais, volontairement abusivement, de réactionnaire, voire de pamphlétaire (c'est du moins sur ce terrain que je veux tirer le propos du film) : à force de nous concentrer de manière lamentablement ethnocentré et littéralement fétichiste (le cinéma n'est plus qu'un objet de flatterie pour l'homme, à la limite de la sublimation fasciste du corps en action : l'affiche de Sous toi, la ville joue avec ce fétichisme en menant notre regard vers une vulgaire paire de lunettes, repoussant le couple hors-champ [mais tout de même présent] pour concentrer de manière très intense, dans cette paire de lunettes, à la fois la question du regard caché, donc du voyeurisme, et celle de l'objet comme idole objet de culte au cœur de notre civilisation occidentale contemporaine, le corps restant bien évidemment lié à l'objet mais occupant une place moindre) sur un individu ou sur une très mince poignée de personnages (ici, un couple : pas toujours le même homme, mais couple quand même), nous ne savons plus voir les horreurs qui arrivent au monde. Il convient donc de savoir ou d'apprendre à ouvrir les yeux sur ce qui se passe autour de nous, d'entendre (écouter et comprendre) le monde non d'un point de vue pauvrement individualiste mais comme causalité à très grande échelle. En bref, un film à la narration classique et à la mise en scène (éclairages, montage, musique, etc.) assez caricaturaux, mais le dernier plan du film semble abonder dans ce sens, pour une noble cause. En ce sens, Sous toi, la ville dépasse de loin les précédents films de Hochhäusler, à savoir les deux films diffusés en France, L'Imposteur et Le Bois lacté, dont le discours cinématographique était, au final, bien moins prononcé que dans ce nouveau long métrage, incontournable pour qui s'intéresse au scénario, évidemment, mais aussi, pourquoi pas, pour qui s'intéresse dans la remise en question qui peut s'opérer face à l'héritage devenu un peu aveugle de tout ce qui s'est voulu néoréaliste.