Bon je l'ai vu, et je suis assez en colère .
Mais en colère contre moi en fait, j'ai vu le film sans l'avoir prévu ( ça c'est pas grave ), et j'étais assez fatigué ( ça l'est ). Du coup je suis passé à côté du début, mais le film impose une telle fascination au fil des minutes que même un narcoleptique ne pourrait pas s'endormir devant ce pur objet cinématographique. Ce qui m'a le plus interpelé, c'est l'audace de Weerasethakul. Rien - ou si peu - n'a changé depuis Blissfully Yours ou Tropical Malady, mais à chaque fois le style du cinéaste thaïlandais fait mouche quand il filme ce que nous n'avons que très rarement l'occasion de voir sur un écran : la trivialité, le quotidien, le rien. La segmentation en deux parties des deux films cités plus haut m'avait fait penser à Mulholland Drive. Mais la comparaison avec le Lynch ne s'arrête pas là, tant l'oeuvre d'Api travaille une certaine trivialité ( pas au sens de vulgarité évidemment ), qui finalement se retrouve souvent chez Lynch ( et puis le fils-singe, ne dirait-on pas la créature du cauchemar dans MD dans sa manière d'apparaître, de s'imposer ? ). Ce qui fait la différence ensuite, c'est bien sûr la manière de mettre en scène, et à ce niveau, Oncle Boonmee est remarquable. Ce cinéma est si radical que je conçois tout à fait qu'on puisse s'ennuyer du début à la fin ; mais ne pas reconnaître la qualité du travail d'Api, soit avoir un point de vue subjectif, je ne le conçois pas.
Simplement parce que l'audace est là, devant nous. Montrer le temps tel qu'il est, qui ose faire ça ? Faire ressentir la durée d'une séquence, et par conséquent placer le spectateur dans une position qu'il a rarement l'occasion ( la chance ) d'occuper est une expérience tellement unique qu'il serait dommage de la refuser. Certains diront que le travail de Weerasethakul est vide de sens, qu'en tant que cinéaste il ne propose rien. C'est oublier que le septième art n'est pas qu'un art de l'espace ( l'expression " mettre en scène " est en soi trompeuse ) mais qu'il s'agit aussi d'un art du temps ( et de la narration, mais ici cela nous intéresse moins ). Et si je suis si fasciné par les films du réalisateur, c'est peut-être parce que j'ai l'impression d'assister à la naissance d'un certain cinéma, parce que je constate ma chance d'être contemporain d'une oeuvre qui redéfinit les films, en ce sens qu'Api établit une sorte de réhabilitation du temps au cinéma. Bien sûr, des cinéastes comme Tarkovski ou Bela Tarr ont déjà emprunté le chemin sur lequel marche le thaïlandais aujourd'hui, mais personnellement j'adhère davantage au style de ce dernier.
La différence réside certainement dans l'aspect mystique propre à un film comme Oncle Boonmee, qui donne constamment cette impression paradoxale d'être familier et lointain à la fois, de nous faire comprendre certaines choses tout en gardant un voile sur d'autres, et quand bien même nous ne comprenons pas ce qui se joue à l'écran, c'est un mystère qui se révèle plus satisfaisant encore que sa résolution. Je vais chercher loin, mais quand j'y réfléchis - parce qu'en plus le film nous fait réfléchir...- je me dis que ce qui m'attire dans un film pareil, c'est l'effet 2001 : avoir la sensation qu'il y a là un discours sur l'être humain et le monde, qui dit certaines choses qui nous sont accessibles, mais qui en même temps préserve un certain mystère parce que finalement la vérité est ailleurs et que certaines réponses sont faites d'une impénétrable matière. C'est l'existence même donc, sur laquelle nous nous posons tant de questions auxquelles il est impossible de répondre. Pour en savoir plus, il faut peut-être mourir. Ou alors faire comme Api, " tuer " le cinéma et en proposer un autre, le refaire, s'inspirer des vies antérieures qu'il a eues pour le modeler à nouveau et le hisser à un degré qualitatif élevé.
Expérience de cinéma unique, à vivre intensément, le film - et c'est la raison de ma note - est légèrement moins bon que Tropical Malady, qui me semble plus intéressant au niveau du rythme. La fin par exemple, malgré une idée géniale, me paraît moins passionnante que tout le reste. Et ça fait un peu sortir du trip...