En ce moment il y a plein de monde à Strasbourg, est ce pour aller voir le dernier film de Bela Tarr dans le seul cinéma qui le passe de l'est de la France ? Que nenni c'est pour s’émerveiller devant des décorations de noël et boire du vin chaud, m'empêchant à moi pauvre étudiant de faire mon approvisionnement hebdomadaire des denrées de première nécessité : endives et haricots verts.
Pourquoi je raconte ma vie ? Parce que ce qui se passe dans le film est encore moins palpitant que ça. Il y a eu plus d'action lorsque j'ai monté les marches du cinéma que durant le film. Ce qui explique peut-être que les touristes se ruent sur les manalas et pas sur la salle de cinéma.
Alors j'ai dû voir si ma mémoire est bonne trois films de Tarr que j'ai tous apprécié, voir adoré, ma préférence allant largement aux harmonies werckmeister. Alors c'est sans crainte particulière (si ce n'est d'être déçu) que je vais au cinéma (devant payer pour une fois ma place, la carte illimitée de marchant pas).
Alors le film a les mêmes défauts et les mêmes qualités que les autres Tarr je dirai (pour ce que j'ai pu voir). Il y a des moments magnifiques, le premier plan, avec la musique, ressemblant à du Dark Ambiant, cette caméra tournant autour du cheval, je trouve ça sublime, le film aurait pu durer 2h26, avec juste ce plan, je pense que j'aurai adoré. En fait les scènes dehors je les aime beaucoup, on entend ce souffle du vent, on voit les feuilles voler, il y a une vraie atmosphère de fin du monde, et la fin du monde, c'est un thème qui me fait me lever le zizi. Je suis donc au paradis (façon de parler).
D'ailleurs c'est une approche totalement différente de celle de Melancholia (vaguement sur le même sujet de la fin du monde), qui se faisait dans l'exceptionnel et le fracas, et ici qui se fait dans la routine, le quotidien, l'ordinaire et le silence.
Alors oui le film est très avare en dialogue, et tant mieux lorsque ça parle ça m'intéresse beaucoup moins, surtout une scène où il y a un monologue (le seul du film), ça me saoule très rapidement, parce qu'au lieu de suggérer par la mise en scène, là il le raconte, alors certes la mise en scène ne peut pas raconter avec la même précision qu'avec les mots, mais malgré tout, laisser au spectateur imaginer ce qui se passe, c'est bien plus efficace.
D'ailleurs en parlant de silence, il est bien marrant de voir des gens clamer haut et fort que the artist est audacieux (tout en étant un hommage vibrant au muet qu'ils disent, alors que bien souvent ils n'ont jamais vu de film muet), parce que là on a un film de 2h26, avec 2 personnages, pas très beau, un père et une fille, marqué par la vie, qui passent leur temps à manger des patates et à chercher de l'eau dans un puits, et tout ça avec quasiment aucune parole. Lequel est le plus audacieux ? ce film ou bien le film qui va faire du nivellement par le bas pour que le grand public ne s'ennuie pas ?
Bon après je ne suis pas pleinement convaincu par ce cheval de Turin pour plusieurs raisons, tout d'abord lorsqu'ils sont à l'intérieur, j'ai l'impression qu'il n'y a que de la mise en scène, c'est à dire je sais que je regarde un film, tous les zoom, tous les mouvements de caméras sentent le manque de naturel, je n'arrive pas à trouver vraie la scène que je regarde. Et puis les zoom vers la fille qui regarde par la fenêtre, je ne trouve pas ça très beau. Parce que cette fille malgré l'austérité du film, je n'arrive pas comme chez Bresson ou Dumont à sentir son âme. Pour moi c'est juste une fille bien filmée. Et ça me gène un peu.
Alors qu'à l'extérieur, on a ce bruit du vent qui vient couvrir les bruitages, on a une ambiance qui n'est que très peu palpable à l'intérieur. Et moi des paysages ruraux, couverts de brume, j'adore ça. Autant voir les deux manger leur patate au bout de la 3° fois, je me dis mouais, autant lorsqu'elle va chercher de l'eau, j'en redemande, ce vent faisant bouger ses cheveux, il se passe quelque chose à l'écran, qui donne une putain d'ambiance apocalyptique.
Aussi, le film se passe après le passage avec Nietzsche, du coup on ne voit pas le moustachu embrasser un cheval, ce qui aurait pu être magnifique, mais qui aurait pu rompre avec l'austérité du film. Néanmoins, certaines scènes avec le cheval sont assez émouvante (toute proportion gardée), car en fait j'ai l'impression qu'il est plus humain que les deux humains, qui me semblent un peu désincarnés. à travers d'eux, je ne vois pas d'invisible, alors qu'une scène avec le cheval peut rappeler une scène de Au Hasard Balthazar (en moins bien). Mais dans le film je n'ai pas vu ce qui aurait pu faire s'émouvoir Nietzsche, je ne l'ai pas senti. Je trouve ça dommage.
Enfin un autre défaut du film, par moment, c'est les transitions. Les plans sont tous très long, genre le plus court doit faire lui-même plus de 5 min. Et à plusieurs reprises lors de ces transitions, ça ne semble pas naturel, le raccord me dérange en tant que spectateur, alors que d'autres ne se remarquent même pas.