Je déplore vraiment le manque de reconnaissance de ce film, qui pour ma part est un des meilleurs de cette belle année ciné. Je retiens en particulier la mise en scène, d'une qualité inouïe, tellement simple et qui donne tout son sens à l'expression ( mise en scène donc ). Im Sang-soo propose un travail sur l'espace accessible et complexe à la fois, grâce auquel le spectateur comprend les choses et les émotions des personnages par une composition de plan, un mouvement d'appareil, par la manière dont s'agencent les interactions physiques entre les acteurs et la caméra. Il est assez réjouissant, pour nous spectateurs, de constater la qualité du travail sur l'espace du réalisateur sud-coréen. C'est d'une telle pureté...et à la limite ça ne s'explique pas, il faut juste le voir. Bien sûr on peut parler de certaines choses, comme de l'élégance plastique de l'oeuvre, du raffinement formel d'autant plus impresionnant qu'il est en contraste permanent avec le fond et avec les émotions de personnages - surtout le couple " hors-la-loi " - dont la soif de désir est brûlante. C'est donc cela qui intéresse aussi dans le film, cette manière d'être dans le paradoxe, de mêler le côté glaçant de la mise en scène et le feu qui, chez les personnages, brûle sous la glace, sous les masques d'une société trop conventionnelle et hypocrite. Im Sang-soo porte l'art du cadrage à son apogée, faisant littéralement parler les images sans avoir besoin de recourir au dialogue.
The Housemaid est un grand film social, d'une acuité rare quand il s'agit de pointer les rapports délétères entre les classes sociales, la domination des riches sur les catégories moins aisées, mais aussi lorsqu'il est question d'établir le portrait d'une société machiste où les femmes sont soumises face aux hommes et où elles en sont réduites à se bouffer entre elles. Le personnage principal - magistrale Jeon Do-yeon - n'est finalement rien d'autre qu'une esclave moderne, totalement à la merci de ses employeurs, dont l'opulence et la toute-puissance sont des armes aveuglantes, les empêchant de voir l'horreur avec laquelle ils traitent ceux qui n'appartiennent pas au même monde qu'eux. The Housemaid est donc un film très juste sur la société puisqu'il la décrit comme régie par des rapports de dominations, d'une part des puissants sur les faibles, d'autre part des hommes sur les femmes. C'est dire la position délicate dans laquelle se trouve la servante, figure prolétaire dans un foyer " modèle " et bourgeois, ainsi que dirigé par une figure masculine ( il est autant responsable de l'adultère que la servante, mais personne n'ose lui reprocher quoi que ce soit ). Le film est aussi très cruel, exprime sans cesse une perversité insidieuse véhiculée par les personnages. Il y a ici une atmosphère étouffante, donnant l'impression que le personnage principal est incessamment pris au piège, et à quelques moments on est en plein film d'horreur quand on constate la bassesse morale dans laquelle peut plonger l'être humain. Les seuls moments de respiration - évitant de plus toute niaiserie - sont les échanges émouvants entre la servante et la petite fille, seul personnage de la famille remarquable, mais dans un sens pas si innocente que cela puisqu'elle baigne déjà dans un milieu qui - joie du déterminisme - la pervertira au fur et à mesure des années, prolongeant ainsi le cercle vicieux dans lequel sont " enfermés " les puissants. L'horreur naît aussi de séquences choquantes ( la grand-mère qui pousse la jeune femme, le suicide de cette dernière, d'autant plus fort qu'il n'est pas un acte exercé à part, mais un spectacle total où l'audience ne semble recevoir que ce qu'elle méritait. Le pire dans cette séquence, c'est que finalement on se demande si les spectateurs de ce drame sont touchés par ce qu'ils voient, ils n'en ont pas vraiment l'air ).
En définitive, on tient avec The Housemaid un des films de l'année, à la mise en scène virtuose, élégante, et surtout terriblement intelligente. Le suspense est à son comble, l'actrice principale est exceptionnelle...il faut s'y précipiter, pour constater qu'à Cannes, comme d'habitude, les jurés ne font pas très bien leur travail.