Dans le paysage hollywoodien actuel, Andrew Niccols est sans conteste un réalisateur/ scénariste à part. Très premier degré dans le traitement de ses sujets, Niccols aborde des questionnements forts et intelligents. Auréolé du succès de ‘’Lord of War’’ (2005), Andrew Niccols revient à son genre de prédilection (la s-f) en 2011 avec ‘’Time Out’’. Genre qu’il avait déjà abordé avec ‘’Bienvenue à Gattaca’’ (1997) mais aussi avec ‘’The Truman show’’ (pour ce film-ci, il officiait seulement en temps que scénariste, la réalisation étant confié à l’australien Peter Weir). Et si ‘’Time Out’’ fut rentable au box-office, il fut aussi une déception critique. On le verra, il est possible d’expliquer les raisons de cette déception.
L’intrigue prend place en 2169. Désormais, une nouvelle unité monétaire règne : le temps. Quand les hommes atteignent l’âge de 25 ans, un compteur vert apparaît sur leurs bras. Ce compteur indique le temps qu’il leur reste à vivre. Une fois son compteur à zéro, l’individu décède. Tout le monde cherche à gagner des minutes, des heures, des jours… Les inégalités sociales sont criantes entre les pauvres qui doivent chaque jour se battre pour obtenir quelques jours de sursis et les nantis qui disposent de plusieurs décennies, voire de siècles. Vivant dans un dangereux ghetto, le jeune Will Salas, à la mort de sa mère se révolte contre l’ordre établi.
‘’Time out’’ est un film qui produit deux effets contradictoires sur le spectateur, ce qui est dû à l’importante différence d’ambiance entre la première partie du film et sa deuxième partie. Comme souvent avec ce genre de film, le début du film sert à poser le cadre et le contexte de ce monde. Cette partie est fondamentale : il s’agit en premier lieu de rendre crédible et réaliste cette fable futuriste. Il est nécessaire de rentrer dans l’univers proposé par le film plutôt que de rester à l’extérieur. A ce titre, les quarante premières minutes du film sont un modèle d’écriture, mais aussi de réalisation. Cette société ultra capitaliste se révèle terriblement crédible entre ces pauvres qui pour survivre un jour ou deux doivent trimer sans s’arrêter et ces riches qui peuvent sans souciller parier plusieurs siècles d’existence au casino. Le regard de Niccols dans un premier temps dépasse pour autant tout manichéisme puisque l’optique bons/ méchants n’existe pas vraiment au début du film. ‘’Time out’’ décrit une société ou il est devenu aujourd’hui impossible de savourer pleinement la vie. Car si les habitants du ghetto vivent un enfer quotidien pour pouvoir vivre une journée entière et supplémentaire, certains riches, quasiment immortels connaissent des malheurs bien différents. Incapables de savourer leurs richesses, ne se rendant pas compte du tout de leurs privilèges et vivant dans une terrible superficialité, les nantis se sont complètement isolés, construisant portes et barrières pour vivre à l’écart de la misère du monde (on pense alors au phénomène des gated communities qui pullulent en Amérique). Ainsi, les effets, quand un de ces êtres aisés ouvrent les yeux sur l’horreur de ce monde, viennent chambouler le système ou chaque chose est à sa place. Avant de rencontrer Silvia Weis, Will Salas rencontrera Henry Hamilton, un homme las de sa vie éternel. Bien décidé à mourir, Hamilton confiera ses 100 années à Will Salas qui lui est venu en aide, faisant véritablement démarrer l’intrigue de ‘’Time out’’. Tout le funeste propos d’Andrew Niccols est soutenu par sa mise en scène. Délaissant une imagerie baroque (qui est souvent légion dans les dystopies), Niccols opte pour une approche réaliste. A l’instar d’un Alfonso Cuaron et ses ‘’Fils de l’homme’’ (2006), il filme dans des décors réels et a recours à très peu d’effets spéciaux (du moins, ces effets spéciaux se font les plus discrets possibles). Andrew Niccols à coup de scènes puissantes (comme les morts de la mère de Will ou de Hamilton) parvient à nous faire croire à son univers et même à nous y convier. Tout est donc parti pour faire de ‘’Time out’’ une fable philosophique intelligente dans sa réflexion, tout en se parant d’un certain ‘’réalisme futuriste’’.
Hélas, Andrew Niccols a, semble t’il cédé aux sirènes d’Hollywood. Un contraste sérieux apparaît au fil de l’avancée de l’intrigue. Très vite, le film de s-f un peu philosophique et réaliste cède le pas au film d’action complètement irréaliste. Très vite, le héros du film, d’abord jeune prolo à la Ken Loach qui s’infiltre chez les riches pour s’en venger devient une armoire à glace invincible, à la Schwarzenegger. On peut en vouloir à Niccols : pourquoi ce dernier n’a-t-il pas tenu ses partis-pris (réalisme, finesse, lenteur) jusqu’au bout. Ce changement de ton anéantit l’intérêt qu’on pouvait avoir jusqu’alors pour ‘’Time out’’ tout simplement parce que ses promesses ne sont pas tenus. Un film qui adopte un ton aussi crédible dans sa première partie ne peut pas virer d’un coup au gros film d’action avec poursuites (à pieds ou en voitures), tueries, etc. Au même titre qu’il serait d’ailleurs tout aussi incongru qu’un gros film bien bourrin vire au film contemplatif et réaliste dans un second temps. Et ce n’est pas comme si le revirement opéré par ‘’Time out’’ se faisait finement. Dès que Will s’enfuit avec Silvia, les personnages qui portaient alors de fins souliers revêtent alors de gros sabots. Le film se met alors à multiplier les grossièretés scénaristiques (
comme le premier coup de feu tiré par Silvia, qui fait mouche par un heureux hasard ou encore la mort de Raymond Léon qui vient prouver l’incompétence de ces gardes temps, chargés de surveiller les legs de temps jugés suspects
) et les protagonistes principaux deviennent des surhommes aux capacités physiques et intellectuels hors du commun (ils cambriolent des banques, bernent la police et les super riches et bien entendu défouraillent à tout va). C’est un défaut qui était déjà présent dans ‘’Bienvenue à Gattaca’’ : Niccols veut prouver que n’importe qui, quelque soit son milieu et son origine peut devenir un héros. Mais à force de vouloir le prouver, Niccols confère un nombre gigantesque de qualités physiques et intellectuelles tout en diminuant le nombre de défauts à ses personnages principaux. Ce qui a logiquement l’effet d’éloigner le spectateur des protagonistes (il est difficile de s’identifier à des héros aussi parfaits). C’est le problème des Mary Sue et des Gary Sue poussés à l’extrême : il est impossible de s’y reconnaître. Mais le vrai défaut, c’est de faire suivre ces séquences (
rajoutons encore au passage cet accident de la route ou les héros perdent momentanément connaissance pour se réveiller sans blessure ou bien toutes ces banques très peu gardées
) à un film qui se voulait être le miroir déformant de notre société. La suspension consentie de l'incrédulité opéré par le spectateur dépend du film regardé. Les séquences de testostérone de ‘’Time out’’ peuvent être regardées et acceptées comme telles dans un film avec Schwarzy ou Stallone (et vu la carrure des deux acteurs, on est deux fois plus prêt à accepter les scènes les plus tarées qui soit… là ou Justin Timberlake fait plus play-boy qu’acteur de film d’action). Pas dans un film qui a la prétention de parler de notre monde. Justin Timberlake lui même n'est plus convaincant dans cette seconde partie tandis que les tourments qui entourent le personnage joué par Amanda Seyfried sont à peine effleurés et même noyés sous l'action. En regardant tristement le film se déliter sous nos yeux, on se dit qu'on aurait préférer voir comme personnage principal le garde-temps interprété par Cilian Murphy. Le film aurait peut-être gagné à suivre la trame scénaristique d'un ''Blade Runner'' ou l'on suit l'enquêteur qui cherche à tuer des éléments jugés nuisibles à la société avant de vouloir les protéger.
A la fin du visionnage de ''Time out'', on ne peut qu'être frustré. Frustré devant un film qui promettait beaucoup. Mais Andrew Niccols, d'habitude si bon scénariste enfonce son film dans une direction totalement à côté de la plaque et hors de propos. Dommage tant l'idée avait un énorme potentiel. Dommage aussi que le film perde de son potentiel en ne montrant que les classes sociales plus plus extrêmes : les plus pauvres et les plus riches. Et les classes moyennes alors ?