SUITE : parce que le monde est trop vaste quand l’aimé y est introuvable, et la capture du temps des rencontres et des retrouvailles, forcément limitées, est celle d’un temps trop court.
Barbara est d'une grande sensualité, et sa voix étrangère assure les distances nécessaires entre cet ovni incandescent : LES MAINS LIBRES et son public : celui de la salle - notamment celle de l'avant-première - public bouleversé; au bord des larmes, et pourtant joyeux.
Des plans qui ne s'oublieront pas, des scènes qui nul doute doute feront désormais partie du joyau du patrimoine du 7 ème art :
Michel, qui, tout seul dans sa cellule, est pris d'un rire inextinguible quand du fond de la télé s'énoncent très sérieusement les âneries habituelles qu'on nous balance sur l'affirmation de soi; comment réussir sa vie, comment être soi-même, etc.
La magistrate (Dominique FROT méconnaissable) aussi défigurée que la Justice qu'elle représente : sur-perruquée et sur-maquillée, qui incarne la violence du calme : cette fausseté aberrante institutionnelle dont la voix semble sortir d'un corps inhabité.
La scène du mariage en prison : poignante, et les paroles administratives déplacées et obscènes parce d'illégitimes pour ces deux êtres que l'amour a déjà rendu à jamais inséparables.
D'un côté un couple, dont la passion crée des gestes maladroits et authentiques, et de l'autre, la grosse machinerie encombrante faite de décrets, de règlements intérieurs et de verbes performatifs : des tue-l'amour qui ne parviennent pas à atteindre les deux amoureux Dans ces CES MAINS LIBRES, se joue également le combat des corps contre tout règlement étranger à ces derniers, et surtout se joue l'incompréhension qui grandit en même temps que l’amour l’un pour l’autre des deux protagonistes; protagonistes ailleurs, c'est-à-dire viscéralement eux-mêmes.
Ces mains qui ne libèrent le reste du corps du carcan carcéral et de la séparation que par la caresse d’une cheville, au cours d’un parloir, ou par l’alliance qui sacre officiellement l’union de Barbara et Michel.
L'exigence de ce film ne cède pas un instant à l'image gratuite ou la parole en trop, ce film généreux et pudique, pudique et poignant est un véritable régal qui nous fait sortir ni tout à fait un autre ni tout à fait le même de la salle de projection : le rêve désormais réalisé du spectateur qui gardera longtemps après la finesse d'un regard ou le cadrage parfait d'un mouvement.
Les dernières images, à l'instar d'une caresse blessante ou bien d'un coup de poing qui réconforte, ne sont pas les moindres; elles ne sont les moindres et surtout elles ne sont pas les seules élégances artistiques; elles ne sont pas les seules et les moindres élégances filmiques et personnelles de Brigitte SY.
Enfin, ces MAINS LIBRES rendent un hommage involontaire - puisque l’homme est mort entre le tournage et la sortie du film - mais très bel à Alain OLIVIER, ce metteur en scène, ici comédien, qui est l’un des rares à avoir réussi à monter le théâtre de Jean GENET sans en assassiner les pièces.
Préférons saisir son rôle de gardien de prison comme la métaphore d’un temple dans lequel sont préservés et non enfermés, les codes du grand théâtre exigeant qu’OLIVIER n’a jamais trahi.
Brigitte Brami, le 17 juin 2010