Divertissement bien mené doté d'un bon mix d'humour et de sentiments peu niais, C.S.L. s'avère capable de faire passer des émotions plaisantes, typiques de la comédie américaine, avec de bonnes pointes d'ironie. Côté acteurs et actrices, à l'unisson, les prestations sont honorables, avec quelques réserves: 1) le jeu de Steve Carell laisse à désirer, 2) Julianne Moore campe un rôle alimentaire, 3) Ryan Gosling/Jacob, le "satyre play-boy" possède, malgré sa beauté enjôleuse, le charisme d'une huître, 4) la boubouille de Jonah Bobo finit par énerver et John Carroll Lynch (le gros) est bien mal accordé, 5) froncements et grimaces excessifs. Le rôle d'Emma Stone (Hannah) s'imbrique dans la lignée de ses anciens, Marisa Tomei a l'air de s'éclater en nympho frustrée, Analeigh Tipton (la baby-sitter nunuche) offre une jolie révélation. Ce film n'échappe pas cependant à de multiples lourdeurs (par ex. lorsque Cal ressasse péniblement son amertume), ni à une peinture sociale normativiste des moeurs étatsuniennes. Après visionnage, c'est détente mais avec des irritations pour plusieurs raisons. Côté environnement, c'est classe moyenne riche, énormes bagnoles, casage de pubs (spiritueux, fringues...), consumérisme (à travers le personnage de Jacob) et usage imbécile du téléphone cellulaire (l'oreillette on connaît pas et ça téléphone encore en conduisant). Côté minorités ethniques, c'est casage du minimum syndical (la copine asiat, la grosse proviseur noire, un «gay» émis par Carell découvrant Jacob), le tout dans un climat hétérocentré absolu. Autre truc pitoyable, les scènes de bar se déroulent toujours dans le MÊME bar. Comme l'indique son titre, le film tape dans le «stupide»; quant au reste (au Québec, c'est «Un Amour Fou»), c'est plus "fou-fou" que véritablement fou (mis à part la scène collective climactique du jardin, qui fait clin-d'oeil à «Mes Meilleurs Amies»). «Stupide» peut certes s'appliquer à ces amours phantasmés ou obsessionnels mais «fou» est surfait: l'amour y reste un «attachement à deux», excluant par là l'amour de soi, le libertinage ou le couple libre - il s'agit donc plutôt de «Nevrotic Stupid Love». La multiplication des relations consuméristes (figure du don Juan habile mais gamin) est clairement séparée de l'amour, présenté dans sa facétie comme dans sa gravité. Une réelle subversion n'est donc pas au rendez-vous pour cette farce ironique et espiègle, qui flirte avec l'exhibition tout en restant pudique, qui caresse la transgression tout en se couvrant de moralité. L'arrosage alcoolique récurrent accouche d'idées fofolles mais pas ou peu novatrices et on ne sort pas du CONTRAT aseptisé de la comédie qui se veut tout de même «familiale». Comme il se doit pour ce type de production, on tombe vite dans la cuisine habituelle: étalage des sentiments jusqu'à l'indécence, dérision, flirt avec l'insolence et pointes de grossièreté (en passant, le «trou du cul» peut être beau; la traduction donne «archi-con»)... Cependant on ne va pas au-delà et c'est là qu'on sent le poids des règles académiques: le sexe décomplexé reste occulté (comme si le montrer était obscène), seules apparaissent les prémisses (approche, drague, mise au pieu), emballées dans un ton léger ou blagueur; le désordre finit toujours par faire place à une certaine réorchestration ordonnée... L'irritation va même plus loin si l'on se rend compte qu'avec ce film, on se traîne l'héritage du sexisme! En effet, la débauche s'y manifeste comme une particularité acceptable pour les hommes alors que les femmes, chasseuses exceptées, ressemblent à des proies qui rêvent passivement du «grand amour» sinon d'un «dieu» du sexe. Elles jouent du coup ou les pleurnichardes contrariées ou (version ado) les godiches enfiévrées, à moins -ô miracle- qu'un couple en apparence bien stable se forme. Ainsi, bien que le film s'habille d'allures modernes et se moque malicieusement de certains clichés éreintés, il ne se départit pas d'une certaine niaiserie qui, si l'on est lucide, rejoint un normativisme vieux jeu. On en arrive à faire passer l'intrusion parentale (ex. la mère qui fouille, le père qui s'immisce) pour une responsabilité allant de soi! La scène de fin d'année, avec les garçons en costume-cravate, les fifilles en rorobe et l'étalage des «justes sentiments», écoeure de conservatisme malgré l'humour. En résumé, Crazy Stupid Love recycle astucieusement de vieux procédés et sait faire vibrer efficacement les émotions sur un fond très léger, malgré certaines longueurs et lourdeurs évitables, compensées par une succession de petites scènes pétillantes ou cocasses, amusantes sans être désopilantes. La recette sucrée-salée se laisse donc savourer non sans aigreurs et sa digestion, malgré ses ingrédients comiques, s'alourdit au final par l'imposition d'un discours moraliste, celui d'une doxa bien-pensante, s'accomodant d'une certaine réalité sociale (tromperie et divorce). Bref, une fausse originalité usant élégamment de facilités adéquates. Passable.